The Multiversity

De Sylvandell à Mijak la capitale, le trajet était long au sol. La route était longue, et surtout dangereuse, a fortiori depuis l’Olympomachie. Fort heureusement, la Reine de Sylvandell disposait de la capacité de voler dans les airs à dos de dragon, ce qui permettait d’aller beaucoup plus vite.

Récemment, Alice avait été capturée par des bandits. Une situation qui aurait pu devenir très problématique s’il n’y avait eu l’intervention de la sorcière Séléné, qui avait sauvé la jeune femme. Pour la remercier, Alice l’avait invité à sa Cour, et elles avaient rapidement sympathisé. Alice s’était montrée assez prolixe, montrant à Séléné le Sanctuaire des Dragons, et lui parlant surtout du fait qu’elle souhaitait se rapprocher de plusieurs de ses variants dimensionnels. Mais, pour cela, le mieux était de rejoindre la capitale, et plus particulièrement la demeure de son amie d’enfance, amante, et qui était à ses yeux la personne la plus proche d’une mère adoptive, la vampire Mélinda Warren.

Il leur fallut une bonne semaine pour planifier ce voyage. Alice embarqua ensuite sur son dragon. Partir seule était toujours risqué, même si elle partait avec Séléné. Elle en avait toutefois l’habitude, et elle chevauchait un dragon doré. Quelle meilleure escorte pouvait-on envisager ?

Le dragon fila dans les airs, et bivouaqua à plusieurs reprises, généralement dans la forêt, dans des plateaux, en tout cas à l’abri des oreilles indiscrètes. Alice et Séléné dormirent donc à la belle étoile, sous une tente. Des nuits assez dynamiques, à n’en point douter.

Et puis, en deux jours, elles rejoignirent la capitale. Le dragon descendit, et rejoignit un désert avec la capitale mijakienne au centre. Imposante et massive, la capitale s’étirait à travers des faubourgs. Des villes et des forts se trouvaient tout autour du désert, dans les montagnes menant à la capitale. On pouvait voir l’immense Palais Impérial, la plus haute structure de la capitale, qui se trouvait au centre, près d’un grand lac. La capitale avait été fondée sur une oasis.

« La reconstruction de la capitale avance bien. »

Alice avait eu l’occasion de parler à Séléné du contexte géopolitique confus.

« Depuis que les Dieux olympiens ont attaqué Terra, Mijak est au bord d’une guerre civile. L’Empereur était auparavant entouré d’individus peu recommandables, comme Haazhel Thorn, un mage noir aux services de la Monarchie de la Rose. Suite à sa résurrection, l’Empereur a changé de situation, et a fait le tour des principales provinces impériales pour reconstituer ses alliances politiques en multipliant les épouses… Comme moi. Ceux qui ont tenté de me capturer visaient surtout l’Empire. »

La géopolitique ne semblait guère passionner Séléné, mais elle devait tout de même savoir qu’Alice était l’une des épouses de l’Empereur, et que Mélinda était sa première épouse.

Alice posa donc son dragon au sommet du Palais Impérial. Des dragons rouges se trouvaient là. Ils étaient les Dragons Impériaux de l’Empire, des gardes éternels de l’Empereur, qui s’étaient illustrés quand les forces du dieu Arès avaient envahi la capitale.

La Reine se posa donc sur le grand jardin situé sur le toit. Elle descendit au sol, et tomba rapidement sur plusieurs personnes… À commencer par Mélinda. La vampire avait évidemment appris qu’on avait tenté de capturer Alice. Elle l’enlaça donc, et l’embrassa également.

« Ma chérie ! Tu vas bien ?
-  Oui, ma belle… Grâce à Séléné ! »

Mélinda se retourna vers la sorcière, et alla la saluer.

« Je vous remercie d’avoir secouru mon amie. Je m’appelle Mélinda Warren, et vous êtes la bienvenue ici. »

Selene avait raison de penser qu'un voyage vers la capitale demandait de la préparation. La mutante ne s'inquiéta pas trop savoir en qui elle consistait, c'était d'ailleurs plus administratif et protocolaire que matériel. Le voyage dura d'ailleurs moins longtemps que l'attente avant le départ. Le dragon, clairement différent de celui qu'elles avaient utilisé pour une courte distance, avait peut-être demandé un peu de temps, mais le reste, une tente et de quoi manger pour deux jours, ça ne devait pas être trop dur à trouver. La sorcière pensait donc que l'attente était surtout due au fait qu'il fallait prévenir la capitale de l'Empire et, d'une certaine manière, en obtenir l'autorisation.

Comme lors de l'arrivée au sanctuaire des dragons, Alice profita que la capitale était en vue pour informer un peu plus Selene sur celle-ci. Enfin, c'était surtout de l'histoire récente. Les histoires de luttes de pouvoirs n'étonnaient jamais vraiment la mutante, mais ça l'étonnait quand même que la princesse semblait fantasmer sur une sorcière corrompant une jeune dirigeante alors que l’Empire semblait avoir eu le problème d'un mage noir qui influençait son dirigeant. Être aussi proche d'une telle situation, ça pouvait pousser à la prendre plus au sérieux que ça. La situation de la capitale était aussi assez étrange, en général, les grandes villes, et donc les villes importantes, fleurissaient là où la vie était facile et propice, souvent près des rivières, où le sol était fertile. Même avec une oasis, le milieu du désert n'était pas le meilleur endroit où installer une capitale, si c'était le plus propice de l'Empire, il était sans doute préférable de ne pas trop se demander comment étaient les autres. Sylvandell et sa montagne était sans doute un exemple, d'ailleurs.

À leur arrivée, elles étaient attendue, ce qui pouvait sans doute confirmer que la capitale avait due être contactée avant qu'elles ne partent. Enfin, ce n'était pas si sûr que, ça, Selene savait très bien qu'un énorme dragon dans le ciel qui approchait, ça se remarquait facilement, même si la réaction la plus courante à ce spectacle était plutôt de sortir les balistes. Ici, elles avaient droit à un comité d'accueil un peu moins meurtrier, bien que peut-être aussi important en terme de mobilisation. C'était logique, la venue d'une reine se devait se devait d'être reçue avec une certaine délégation. Mais l'accueil ne fut pas si formel que ça, au début en tout cas, puisque la première personne à attendre Alice l'enlaça puis l'embrassa. Mais la princesse avait bien précisé qu'elle était très proche de la famille impériale, elle en faisait même partie après tout et la sorcière croyait déjà deviner qui était la jeune femme, à vrai dire la seule personne de la capitale dont elle avait entendu parler, en dehors de l'Empereur lui-même, et elle confirma ce que Selene pensait quand elle se présenta à elle. C'était celles qu'elles étaient venues voir et, en tant qu'épouse de l'Empereur, probablement la personne la plus importe de la ville après lui, Mélinda Warren.

"Enchantée, Mélinda. Et Merci."

Pour ce premier échange, Selene ne se montra pas très loquace. Alice venait de la présenter et en venir tout de suite sur la raison de leur venue aurait sans doute été trop abrupte. La mutante allait sans doute devoir commencer par se familiariser avec les lieux et les personnes qui l'occupaient, histoire de s'acclimater. De toute manière, elles allaient sans doute devoir passer par le reste du comité d'accueil, qu'il soit amical ou protocolaire, et ce n'était sans doute pas la seule chose qui était prévue pour recevoir la princesse. Autant attendre que tout le "tralala" soit passé et de s'être installé, avant de passer à autre chose.

Avec sa tenue noire moulante et sa cape noire à l’intérieur rouge, Séléné avait un look assez remarquable, mais qui avait eu pour effet de la protéger du froid pendant leur vol. Bien sûr, elle portait aussi des tenues plus érotiques, Alice avait été assez claire sur le fait que Mélinda était loin d’être une femme pudique. Pasd de grand cérémonioal en revanche, Alice était après tout venue à dos de dragon, il n’y avait donc pas besoin de faire sortir la rangée de gardes, de serviteurs, les trompettes et autres. De toute façon, elle n’aimait pas ça. Séléné se contentait de saluer brièvement Mélinda, qui se retourna ensuite, et attrapa Alice par la main.

« Alors, quelles sont les nouvelles ?
-  Après la tentative d’assassinat sur ta personne, j’ai dépêché nos enquêteurs spéciaux. Ils ont récupéré les éléments perquisitionnés par les inspecteurs de ton royaume, ils n’étaient pas très ravis.
-  En ces temps, la confiance est une vertu qui se perd. »

Mélinda acquiesça lentement.

« Il y avait des lettres de mission, et nous avons aussi commencé à autopsier les corps. On a identifié des tatouages d’écrous sur certains d’entre eux. Certains étaient des prisonniers qui ont pu s’évader lors de l’Olympomachie. Ils faisaient partie d’un groupe armé composé de forbans, de rôdeurs, de mercenaires, qui sont reliés à l’Affiliation. Il ne fait donc aucun doute que ceux qui t’ont enlevé connaissaient ton itinéraire à dos de cheval, et disposaient de contacts au sein de ton royaume. La Conspiration des Toiles est partout. »

Les trois femmes rejoignirent un salon. Alice expliqua à Séléné de quoi elles parlaient :

« L’Affiliation est une organisation terroriste qui fédère autour d’elle de multiples bandes factieuses, compagnies de mercenaires, syndicats du crime, et autres. C’est donc à la fois une organisation terroriste et qui organise du crime organisé à grande échelle. On parle d’une organisation qui désorganise des États, qui mène des attentats à grande ampleur. Elle est directement liée à la Monarchie de la Rose. La Conspiration des Toiles, elle, est un nom employé par des traîtres impériaux qui conspirent pour le compte de la Monarchie. »

Alice ouvrit ensuite une autre porte. Les trois femmes débarquèrent dans une grande pièce assez différente. Il y avait plusieurs petits lits. Alice sourit en se rapprochant de ses enfants.

« Séléné, je te présente ma seconde famille… Voici Thorion et Méline, mes enfants avec l’Empereur. »

Il y avait aussi d’autres enfants, chacun ayant un nom étiqueté sur son lit. Wismerhill avait conçu avec Mélinda un autre garçon, Axel. Il était sans aucun doute surprenant de voir la tête blonde dire avec tant de nonchalance qu’elle avait simultanément deux familles. De toute évidence, il y avait quelque chose qui lui échappait. Alice prit Thorion dans ses bras. C’était un solide gaillard, qu’elle embrassa sur la tête. Mélinda, quant à elle, se retourna vers Séléné.

« Et… Pardonnez-moi, mais je n’ai trouvé votre nom sur aucun registre académique. Vous avez étudié à quelle école ? Vous servez la Déesse Sha ? »

Finalement, l'accueil fut plus court que Selene ne l'avait pensé, il semblait que les autres personnes n'étaient venues que pour le décorum. Ça permettait de gagner du temps et Alice n'en perdit pas pour se renseigner sur l'enlèvement dont elle avait fait l'objet. Apparemment, c'était l'empire qui s'était chargé d'enquêter là-dessus et pas le royaume. La mutante n'écoutait que d'une oreille discrète, même si elle était en quelque sorte concernée, les intrigues politiques n'étaient pas réellement sa préoccupation majeure. La princesse se donna quand même la peine de lui expliquer, principalement en détaillant les différentes organisations dont il était question. En résumé, des groupes de méchants qui font des truc de méchants.

Alice finit les explications pour ainsi dire juste à temps pour changer de sujet. Selene ne savait pas réellement où elles allaient, elle ne faisait que suivre le mouvement des deux femmes qui connaissaient les lieux, et leurs pas les conduisirent dans une chambre d'enfants, qui faisait penser à un dortoir de pensionnat, et la princesse présenta à la mutante deux des enfants, les siens, avec l'empereur. La sorcière en déduit qu'il était parfaitement possible que tous ces lits soient pour les enfants de l'empereur, si il multipliait les épouses, il était tout à fait possible qu'il multiplie aussi les descendances. Cela dit, étant donné les menaces qui pèsent sur lui, à sa place, Selene ne les regrouperait pas vraiment dans la même chambre, une vieille histoire à propos de mettre tous ses œufs dans le même panier. La mutante s'amusait aussi de se demander pourquoi les noms étaient inscrits sur les lits, probablement pour que le petit personnel puisse plus facilement reconnaître qui est qui, les enfants, normalement, devraient être capable de retrouver leur lit sans avoir à lire les étiquettes. Enfin, peut-être pas au début, mais à force d'habitude.

Mais Selene fut interrompue dans ses pensées par Mélinda, qui passa tout de suite à un autre sujet. En fait, sa question amusa un peu la mutante. Il était vrai qu'elle pouvait sembler un peu avare en détails sur elle, mais Alice essayait quand même de temps en temps de lui soutirer des informations et, peu de temps avant leur arrivée, s'était permise une remarque sur le fait qu'elle semblait savoir que la sorcière ne venait pas de Terra à l'origine. Difficile pour elle de dire si la princesse avait juste donné son nom à Mélinda, ou si elle était plus entrée dans les détails, et que la question était un peu destinée à voir si elle pourrai glaner des informations. Ça semblait bizarre que Mélinda, qui est quand même la première épouse de l'Empereur, s'amuse à consulter des registres juste pour savoir où une inconnue avait étudié. Il était même possible qu'il y aie eu des Selene, dans ces académies, d'ailleurs.

"Dans aucune. J'ai bien glané des informations de-ci de-là, mais je suis avant tout autodidacte."

D'une certaine manière, Selene n'avait pas réellement eu le choix, quand elle était jeune, il n'y avait pas vraiment d'académie sur Terre, pour autant qu'elle le sache. Il n'y en avait d'ailleurs peut-être pas non plus sur Terra, à l'époque. Même si le monde était clairement plus abondant en magie, ça ne voulait pas forcément dire qu'elle était déjà très organisée il y a quelques millénaires, même si elle l'était clairement aujourd'hui.

"Et pour l'autre question, non. Ce n'est jamais une bonne option de faire le choix de facilité de s'assujettir."

Selene avait déjà entendu parlé de Sha avant de se trouver sur Terra, elle a aussi eu son succès sur Terre, même si Selene n'avait pas rejoint le club. L'avis qu'elle donnait n'était peut-être pas le meilleur à exprimer devant deux femmes dont la place dans la société reposait au final sur assujettissement des autres, mais ça résumait très bien son point de vue. Même si il fallait bien faire avec certains pouvoirs en place, et concilier avec des dirigeants de faction, la mutante n'avait pas vraiment pour vocation de se placer en dessous d'une autre personne.

"Les Divinités tirent leur pouvoir de la foi de leurs fidèles, ils ne peuvent donc pas donner plus que ce qu'ils reçoivent. Et par la force des choses, c'est moins."

Au final, les Dieux marchaient comme les états, c'était une mise en commun afin d'obtenir quelque chose que chacun ne peut pas individuellement se permettre. Et bien sûr, il y avait des pertes, il fallait bien que les Dieux, en plus de contenter leurs croyants, fassent leurs trucs de Dieux. Selene ne niait pas que certains obtenaient parfois plus que ce qu'ils donnaient, mais c'était forcément au détriment des autres. Ça marchait toujours comme ça, mais ça ne voulait pas dire que la mutante n'avait jamais fait partie d'un culte, c'était juste qu'elle en était la plupart du temps, directement ou non, la divinité. Quitte à entrer dans un système pyramidal, autant en être au sommet, histoire que ça rapporte.

Des registres, Mélinda n’en avait en réalité consulté aucun, car ces registres n’existaient pas. Certes, elle aurait pu consulter les registres spécifiques de chaque académie, mais il y avait trop de noms, et ces registres n’étaient pas exhaustifs. Il était en revanche exact qu’Alice avait indiqué à son amie, beaucoup plus suspicieuse qu’elle-même, que sa magicienne était assez inconnue, et peu prompte à parler d’elle-même. Mélinda le constatait d’ailleurs également, et ce n’était pas forcément qu’elle appréciait. Ceux qui restaient évasifs sur leur origine avaient souvent des choses à cacher, et ceux qui dissimulaient des choses étaient souvent problématiques. L’idée d’avoir affaire à une espionne avait naturellement traversé l’esprit de Mélinda. Le plan visant à capturer la Reine de Sylvandell chez elle, à Sylvandell, était après tout cahoteux dès le départ.  Et cette intervention divine d’une femme venant de nulle part… C’était souvent l’occasion parfaite d’obtenir la confiance de sa cible.

Cependant, si Séléné avait envisagé quelque chose, elle aurait agi pendant le trajet avec Alice. Il ne s’était finalement rien passé, et la tête blonde faisait toujours autant confiance à la magicienne.

*À moi de me forger mon propre avis…*

Elle indiqua être une « autodidacte », ce qui était somme toute assez rare dans le milieu magique.

« Libre et indépendante, donc… Je connais cela. Mais seuls les Dieux peuvent faire des miracles. C’est grâce à la Déesse Aphrodite que je peux désormais porter ou donner la vie, une capacité normalement interdite aux vampires. »

Tout en disant cela, Mélinda se retourna vers son propre fils, Axel, celui qu’elle avait conçu avec l’Empereur. Il était l’un des plus âgés, même s’il restait encore très jeune. Axel pouvait marcher.

« Séléné n’a pas d’enfant.
-  Oh… Il est vrai que, dans l’absolu, pour rester libre, il ne faut pas en avoir. Mais c’est amusant. Moi, j’ai pendant des siècles tout tenté pour avoir des enfants, tant je désirais en avoir. J’adorais que mes esclaves soient enceintes, et j’assistai à chaque naissance… Ce que j’essaie de faire, même si mon agenda s’est rempli. Je trouve qu’il n’y a rien de plus beau au monde que cette idée d’avoir un petit être en soi, qui vit dans votre corps, puis qui en sort ensuite. C’était une cruelle ironie du Destin, que celle de voir bien des femmes n’ayant pas envie d’être enceinte et le pouvant, quand on en avait soi-même envie, tout en ne le pouvant pas. Mais peut-être êtes-vous dans ce cas-là, magicienne Séléné ? Je sais que la magie peut parfois avoir des effets secondaires redoutables, surtout quand on apprend seule à la maîtriser. Sachez néanmoins que ce que la magie fait, la magie peut toujours le défaire. »

Tout en disant cela, Mélinda s’était assise sur un fauteuil à côté d’une espèce de terrain de jeux, où on avait mis à disposition des enfants des jouets en bois.

Libre et indépendante, ce n'était pas totalement vrai, mais ça définissait bien Selene quand même. La mutante comptait surtout sur elle, même si elle ne pouvait pas tout faire par elle-même. Mélinda précisait d'ailleurs que certaines prouesses ne pouvaient être réalisées que par les Dieux. Ca se discutait, bien sûr, ce que certains définissaient comme des miracles étaient tout à fait à la portée de non-Dieux, mais comme la sorcière l'avait dit, la puissance des Dieux leur venait de la foi des gens, les miracles n'étaient possibles que parce que beaucoup les priaient, alors qu'ils profitaient souvent à peu. Mélinda était dans ce cas, d'ailleurs, elle avait pu profiter d'un de ces miracles, afin de pouvoir enfanter.

Et on pouvait comprendre que Mélinda soit plutôt favorable aux Dieux, puisqu'ils lui avaient donné ce qu'elle désirait d'après elle le plus au monde, la capacité d'enfanter. Alice en profita d'ailleurs pour préciser que Selene n'en avait pas. Mélinda partit d'abord sur l'idée que c'était incompatible avec une vie libre. Ce n'était pas entièrement vrai, il était tout à fait possible d'avoir des enfants et de rester libre, il suffisait de ne pas s'en occuper. Mais, après avoir parlé du bonheur qu'elle trouvait dans le miracle de la naissance, Mélinda commença à se demander si la mutante n'en était pas incapable elle-même, et si ça ne pouvait pas se régler. La discussion commençait réellement à ressembler à celle entre des couples avec enfants et un couple sans, ou ceux avec essaient de convaincre ceux sans qu'ils ont besoin de quelque chose qu'ils n'ont jamais voulu avoir.

"Pour autant que je sache, je suis capable d'enfanter. Je suis sans doute moins… fascinée par le miracle de la vie que la moyenne."

Selene préféra couper court sur le sujet, il s'agissait vraiment d'un choix, pas d'un manque de capacité même si, c'était vrai, si la mutante ne pouvait pas porter la vie, elle ne serait pas au courant, puisqu'elle n'avait pas réellement essayé. Certains diraient que, si elle ne voulait pas d'enfant, c'était parce qu'elle ne pensait qu'à elle. C'était assez juste, mais la mutante préférait se dire que la volonté d'avoir une descendance provenait surtout d'un besoin de laisser quelque chose derrière soi, quand on partait. La sorcière n'avait pas ce soucis, elle n'avait pas à laisser quelque chose, puisqu'elle restait. Mais tout le monde n'était pas aussi pragmatique que Selene, être immortel ne coupait pas automatiquement l'envie d'avoir des enfants, la mutante en connaissait qui avaient des héritiers, même parmi ses congénères externels et, d'ailleurs, Melinda faisait peut-être parti du lot.

"Donc, tu es une vampire?"

L'information n'avait pas échappé à Selene, Mélinda aurait sans doute pu juste dire qu'elle ne pouvait pas enfanter, mais elle en avait donné la raison. La mutante n'avait pas spécialement tiqué sur le fait qu'elle était sortie accueillir Alice et qu'elle vivait, au moins en partie, au milieu du désert et de son soleil de plomb. Un vampire, à la base, c'était juste un buveur de sang, même si ils répondaient souvent à d'autres critères, comme la sensibilité au soleil, l'odorat délicat et l'allergie au sacré, il pouvait en exister des catégories qui ne le faisaient pas, surtout dans un autre monde que la sorcière ne connaissait pas encore assez. D'ailleurs, la question de savoir si les vampires étaient immortels ou non-morts se posait aussi, il y avait une grande différence entre les deux, et ils pouvaient bien n'être ni l'un, ni l'autre, d'ailleurs.

Parler de procréation au milieu de nouveaux-nés, c’était sans doute assez approprié. Pour Mélinda, la chose était d’importance. Elle libéra l’accès à son sein, permettant à son fils, Axel, de venir se nourrir à son sein. Mélinda sourit donc, tandis que la magicienne indiqua qu’elle était capable d’enfanter, mais qu’elle n’était pas fascinée par « le miracle de la vie ». Cela fit doucement sourire Mélinda, mais, avant que la vampire ne puisse dire quoi que ce soit, Séléné l’interrogea sur sa nature, lui demandant si elle était une vampire. La tête de Mélinda était alors baissée vers Axel. Elle pouvait générer du lait maternel grâce à sa magie rose. Chez les adultes, son lait était un aphrodisiaque efficace, mais Axel était un bébé, incapable de ressentir le moindre désir sexuel. Ce lait devrait juste avoir un très bon goût pour lui. Pour répondre à Séléné, Mélinda releva la tête, et sourit en révélant ses canines, qu’elle fit pousser.

« Plutôt deux fois qu’une, ma chérie… Je me demande bien quel est le goût de ton sang, d’ailleurs… »

Elle rétracta ensuite ses canines, et, consciente que cela méritait des explications supplémentaires, enchaîna :

« Je ne pense pas que tu sois originaire de Terra, Séléné. Ce qu’Alice m’a dit, mais aussi tes questions, ou tes réactions… Je serai curieuse d’en savoir plus sur toi, mais, pour satisfaire ta curiosité, sache que les vampires sont… Plus nombreux qu’on ne le pense. Notre race contient diverses sous-races, qui sont les fruits de l’évolution et des mutations génétiques. Transformer un elfe en vampire, ce n’est pas comme transformer un humain en vampire, non ? Et, même au sein des humains classiques, beaucoup ont des caractéristiques génétiques ou physiologiques très différentes. Le vampirisme, que certains dépeignent comme une malédiction, n’est finalement rien de plus qu’une mutation. »

Mélinda reposa Axel, puis remit sa robe en place. Elle invita ensuite Séléné à la suivre. Alice les suivit également, tenant dans sa main l’une des mains de Séléné. Elles passèrent à travers un couloir qui longeait des jardins à droite et à gauche. Les femmes rejoignirent ensuite une pièce cylindrique avec un escalier qui descendait en longeant le mur. Cette pièce était au sommet d’une tour qui faisait office d’escalier. Quand elles rejoignirent l’étage inférieur, elles purent voir une zone ouverte, avec l’escalier qui descendait de façon vertigineuse.

« Cette tour privée nous permet de descendre et de monter rapidement grâce au monte-charges central », expliqua Alice à la magicienne.

Elles descendirent toutefois simplement d’un étage. Une porte à double battant s’ouvrit devant Mélinda, les menant dans un autre couloir, puis elles rejoignirent ainsi un salon. Il y avait beaucoup de livres ici, et une mezzanine à l’étage. Mélinda s’assit donc sur un fauteuil confortable.

« Nous serons mieux ici pour discuter… Où en étais-je, au fait ? Ah oui… Le vampirisme. »

Mélinda enchaîna :

« Personne ne sait vraiment d’où cela vient. Les religieux disent que le premier vampire était Caïn, celui qui tua Abel, le premier meurtrier de l’Histoire, maudit par Dieu. Une histoire sinistre, mais peu convaincante, selon moi. Car je ne me sens pas spécialement maudite. Il existe des vampires qui craignent les ultraviolets, mais d’autres qui, comme moi, n’en ressentent rien de particulier. Le soleil ne m’est point mortel, on peut voir mon reflet à travers la vitre… Par contre, je ne peux pas me transformer en loup ou en chauve-souris. Enfin, comme tout vampire, j’ai un besoin de sang régulier. Ceux qui ne boivent pas assez de sang finissent par perdre la raison. Cela n’a rien non plus d’une malédiction, c’est purement biologique. Les cellules du cerveau sont biodégradables, vous savez. Elles se nécrosent avec le temps. Boire du sang permet de contrebalancer cet effet chez les vampires, mais, si on n’en boit pas, la dégénération cellulaire peut rapidement s’accélérer, et atteindre le point de non-retour. On ne meurt pas, bien sûr, mais on devient… Monstrueux. Avec des ersatz de conscience, parfois… Cela donne ces monstres qui sont tant redoutés : brouxes, alpyres, garkains, noctules… »

Mélinda haussa les épaules. Un page lui apporta à boire, et proposa aux deux autres femmes des boissons également.

« Enfin bref… Si donner la vie ne t’intéresse pas, pour quelle raison t’es-tu retrouvée à Sylvandell ? Que cherches-tu sur Terra que tu ne trouves pas là d’où tu viens ? »

Le sujet des vampires semblait vraiment passionner Mélinda. Bien sûr, c'était un peu normal, elle était directement concernée. Selene avait bien sûr eu droit à la blague sur le goût de son sang, que tous les vampires devaient faire, qu'ils aient réellement l'intention de le boire ou non, d'ailleurs. Sur ce point, la mutante ne savait pas si le goût de son sang était bon, mais elle préférait penser qu'il serait plutôt décevant. Les vampires buvaient fort probablement le sang pour en récupérer les nutriments nécessaires à la vie, mais la sorcière ne savait même pas si le sien en contenait, en partie parce que ça ne l'intéressait pas. Après tout, si elle pouvait manger, principalement pour les plaisirs gustatifs, en tant que vampire psychique, elle se nourrissait d'énergie psychique et vivait grâce à elle, et Selene imaginait plus son système sanguin comme une structure vestigiale, et s'amusait généralement de ceux qui essayaient de la neutraliser en lui perçant le cœur et n'obtenaient pas l'effet escompté.

Pendant le début de la discussion, Mélinda en avait profité pour allaiter son fils. Il était clair que la mutante n'était pas la plus calée en enfant, mais elle se demandait quand même si ceux-ci n'étaient pas censé être sevrés avant de savoir marcher. Chaque enfant grandissait à son rythme, il était vrai, et l'enfant "naturel" d'un vampire comme Mélinda était inédit, puisqu'elle n'était pas supposée en avoir, sans l'aide de la Déesse, son développement était donc sans doute imprévisible. Et si c'était un vampire lui-même, il ne serait de toute manière jamais réellement destiné à mâcher, il passerait juste du stade de sucer du lait à celui de sucer du sang, probablement malgré tout quand ses dents, surtout ses canines, auront poussé. Mélinda précisa que pour elle, le vampirisme n'était pas une malédiction, elle le voyait comme une mutation, donc peut-être une mutation. C'était quand même plus probable que ce soit une infection, ce serait plus logique avec la manière dont les non-vampires peuvent être transformé, si une mutation, et donc un gène, pouvait se transmettre par morsure, il faudrait commencer à se méfier des araignées et des fourmis. Enfin, la vampire avait le droit de le considérer comme elle le voulait, si elle avait en quelque sorte lancé le sujet, la sorcière n'était pas si intéressée que ça par le débat, qui fut interrompu quand elles quittèrent la pièce.

Il n'y avait pas réellement eu d'explication à ce déplacement. En même temps, Selene n'en avait pas eu sur le fait qu'elles s'étaient rendues dans la nurserie. Ca avait permis à Mélinda de ponctuer son argument sur les miracles des Dieux, mais autant que la mutante s'en souvenait, cette discussion avait commencé après qu'elles se soient trouvées dans la pièce. Alice avait peut-être juste envie de voir ses enfants, au fond. Il restait à voir où les deux épouses de l'Empereur l'amenaient, cette fois. Quand elles arrivèrent, la pièce ressemblait plutôt à un salon, un lieu de vie en tout cas, mieux pour discuter, en effet, qu'une pièce remplie d'enfants. En dehors du calme, peut-être Mélinda pensait-elle que le vampirisme n'était pas forcément le meilleur sujet à aborder devant des enfants. Ce n'était pas faux, parler d'êtres réputés pour se glisser dans leur chambre la nuit pour boire leur sang, ce n'était drôle que pour ceux qui ne devaient pas les calmer quand ils en faisaient des cauchemars. Mélinda poursuit d'ailleurs la conversation sur les vampire, les rationalisant, en essayant d'en théoriser les origines et la nature.

Mélinda réfutait en tout cas le fait que le vampirisme était une malédiction. C'était sans doute plus facile pour elle, si elle devait boire du sang, ce qu'elle normalisait comme le fait de se nourrir, elle ne souffrait pas de la brûlure du soleil et elle avait même été affranchie de ce qu'elle avait pendant longtemps perçu comme un très mauvais coup du destin, l'incapacité d'enfanter. Après tout, en dehors d'un sort jeté avec malveillance, une malédiction était aussi la manière dont on pouvait percevoir les mauvais cotés de son existence. Même le lieu de sa naissance, son genre ou la moindre inaptitude peut alors être perçu comme une malédiction, alors le vampirisme aussi, ça restait subjectif.

Mais l'avis de Mélinda ne changerait certainement pas, même si Selene donnait son avis. D'ailleurs, comme la vampire l'avait dit, il y avait bien différentes sous-races de vampires, ils pouvaient donc malgré tout avoir différentes origines et natures, le simple fait que Mélinda citait une explication Biblique dans un autre monde était étonnant. Malgré que Mélinda s'était bien laissée prendre dans ses explications sur les vampires, elle n'en oubliait apparemment pas qu'elle essayait de faire tourner la discussion autour de la mutante.

"Pourquoi, Sylvandell est le lieu où aller pour donner la vie?"

Selene se permit une petite plaisanterie. La manière dont Mélinda avait posé sa question donnait l'impression que la raison principale pour laquelle les gens se rendaient à Sylvandell était de donner la vie, et que c'était donc curieux qu'elle ne soit pas venue pour ça. D'une certaine manière, ça pouvait être vrai, peut-être les gens venaient-ils donner naissance à Sylvandell, histoire de présenter leurs nouveaux-nés aux dragons pour savoir si ils possédaient ce Thu'um. Mais ça restait peu probable, si c'était le cas, l'accès au sanctuaire des dragons serait moins contrôlé et les pauvres dragons passeraient leur temps à examiner des bébés.

"En réalité, je suis venue ici pour vaincre mon pire ennemi."

Mélinda essayait de lui tirer les vers du nez, Selene aussi pouvait un peu s'amuser. Surtout que ce qu'elle disait était vrai, elle était la pour combattre un terrible adversaire, l'ennemi de tout être humain, mais surtout des immortels et des gens intelligents et la mutante appartenait quand même aux deux catégories. Plus à celle des immortels, c'était vrai, mais elle avait aussi son intellect. Elle laissa passer une courte pause, pour le suspens, avant de continuer.

"L'ennui. Je suis venue pour voir des choses nouvelles, et si possible intéressantes. Du tourisme, au fond."

Séléné expliqua la raison de sa venue à Mélinda sur Terra : lutter contre l’ennui. Une explication… Inattendue. Elle confirmait en tout cas ce que Mélinda imaginait, à savoir que cette femme était très âgée. Elle disposait d’un sixième sens, celui de capter les groupes sanguins alentour. Elle pouvait ainsi percevoir que le sang de Séléné était ancien, dilué. Ce n’était toutefois pas le sang noble des elfes, le sang de Séléné semblait plus… Usé. Si elle devait la mordre, elle n’était pas sûre que ce serait un sang de premier choix, mais elle avait goûté pire. Le sang des drogués était horrible, par exemple, chargé en substances infectes qui vous donnaient envie de vomir.

« L’ennui, donc… »

Pour le coup, Alice ne serait pas forcément d’une grande aide, elle-même n’en savait pas trop sur Séléné, mais elle enchaîna malgré tout :

« L’idée de croiser mes variants l’a suffisamment intéressé pour me suivre jusqu’ici… »

Mélinda acquiesça lentement.

« Alors, votre rencontre n’est peut-être pas totalement liée au hasard. Depuis qu’une Déesse m’a permis d’enfanter, je vois les choses un peu différemment. Je prenais tous ces mystiques pour des idiots avant, mais je commence à me demander si, insidieusement, la Tortue ne guide pas nos pas. »

Pour quelqu’un originaire de la Terre, cette référence ne serait sans doute pas très évocatrice.

« Les textes sacrés sur Terre sont moins complets que ceux de Terra. Il n’y est pas vraiment fait référence au Multivers. »

Alice poursuivit :

« La Cosmogonie est l’un des textes sacrés de l’Ordre Divin, la religion principale sur Terra… Une religion monothéiste. Il y en a aussi sur Terre, mais, pour une raison que je ne m’explique pas, les Terriens ont conçu trois religions pour vénérer le même Dieu.
-  Je ne devrais pas dire ça en présence d’une humaine, Alice, mais, quand on laisse les humains gouverner, il faut s’attendre à ce genre de facéties. Mais bref… Tout cela doit être difficile à comprendre pour vous, ma chère Séléné, donc, pour vous résumer grossièrement la chose, les cultes monothéistes terriens sont globalement similaires à celui qui existe sur Terra. Les Anges, les Démons, tout ça, ça existe… Ce sont les Anges qui ont inspiré les hommes pour écrire des textes sacrés. Enfin, c’est ce qu’on m’a dit.
-  Ce n’est pas exactement ça, mais peu importe. Un jour, je te ferai peut-être rencontrer le dieu Fulron, Séléné, mais on n’est pas là pour ça. Bref… Là où Mélinda veut en venir, c’est que le Multivers ne nous est pas inconnu. »

Un peu plus agitée, Alice abordait les choses sérieuses :

« Des réalités alternatives, et des plans différents. Mais, sur le même plan, toutes les réalités se ressemblent, elles ont… Des variables et des constantes. Mais ça, tu le sais déjà, je suppose. Ce que tu ignores peut-être, c’est que les Dieux ont la capacité d’élever leur niveau de conscience au-delà de leur propre réalité. Ce don est aussi dédié aux humains. Ceux qui en sont naturellement possesseurs sont appelés les Sources. On en a rencontré une, capable de voyager instantanément d’une dimension à l’autre.
-  En ce qui concerne Alice, quand elle a découvert qu’elle était la fille d’Aphrodite, la Déesse l’a aidé à élever son niveau de conscience. Elle peut ainsi se relier à ses variants… »

Alice acquiesça.

« Mais on peut faire plus aussi. Tu connais les rêves-passerelles, non ? Certains sorciers peuvent… Enfin… Ils peuvent rêver de leur variant, et s’emparer de lui. C’est ce qu’on appelle un rêve-passerelle. Les Dieux peuvent le faire aussi. C’est pour ça que les Dieux se réincarnent dans des humains lambdas, qui deviennent leurs Avatars. Ils peuvent… Euh… Scinder leur conscience en la fusionnant avec d’autres consciences.
-  Tu dois trouver étonnant qu’Alice ait une famille à Sylvandell, et une autre ici, n’est-ce pas ? C’est assez simple… En cherchant ses variants, Alice en a trouvé une qui lui convenait, et elles ont… Fusionné. Cette autre Alice l’a rejoint, et les deux changent de place, et sont perpétuellement reliées l’une à l’autre. Tandis que toi et Alice, vous voyagiez vers la capitale, ce variant s’est installé à Sylvandell. »

Des explications qui semblaient à la limite de la logique, mais il fallait raisonner de manière multiverselle.

« J’espère qu’on ne t’a pas perdu… Mais tu sais pourquoi je cherche des variants, maintenant… Je cherche des copies de moi avec qui je pourrais scinder ma conscience, et ainsi pouvoir mener plusieurs vies à la fois. »

Alice profita vite que Selene avait parlé de combattre l'ennui comme raison de sa présence pour évoquer l'histoire de ses variants. La mutante devinait bien que Mélinda avait été informée de leur visite, ne serait-ce que parce qu'elle était venue les accueillir, mais rien ne lui disait qu'elle était au courant de la raison de leur visite. La sorcière supposait que oui, Mélinda savait pour la tentative de kidnapping sur Alice, il était logique qu'elle aie aussi appris pourquoi elles venaient, surtout si accéder aux réalités alternatives et aux variants demandait une certaine préparation. Mélinda fit réflexion sur le destin, que les habitants de Terra attribuaient apparemment à une tortue, mais qui ne convainquait pas trop Selene. La mutant aimait à penser qu'elle décidait par elle-même et son futur état déjà tracé. Au fond, les histoires de variants lui donnaient raison, si les choses étaient destinées à se passer d'une manière bien précise, il n'existerait pas de réalités alternatives où les choses se sont passé un peu, et parfois très, différemment. Après, dans cette optique, chaque réalité explorait une possibilité et chacune d'elles était destinée à se produire. Il était peut-être préférable de ne pas penser trop loin, à ce niveau-là.

Après ça, les deux femmes commencèrent à parler de l'histoire des variants. Étonnamment, après avoir beaucoup parlé de la Déesse Aphrodite, et un peu de Sha, Alice fit référence à un culte monothéiste, le principal sur Terra, apparemment. Après, dans la mesure où elles n'avaient pas trop tiqué à ce qu'avait dit Selene plus tôt sur les Dieux, elles pouvaient sans doute accepter l'idée que différentes religions puissent exister sans forcément devoir décider qu'une seule d'entre elles est "la bonne". En tout les cas, Mélinda et Alice avaient visiblement des divergences d'avis sur la manière donc les cultes se formaient, historiquement, mais rien de cela n'était important, il pouvait bien y avoir plusieurs théories et explications, il n'y avait qu'un seul fait, et la discussion finit par y venir, en commençant par la généralité des réalités alternatives. Rien de nouveau au début, avant sans doute la partie sur les rêves-passerelles. La mutante les connaissait un peu, mais les avait surtout connu dans le cadre d'un voyage dans le temps. Après, à partir du moment où un esprit futur entre dans le corps de sa version passée, il influence la succession des événements, et sa version passée devient un variant. Enfin, ça ne servait à rien de trop chercher à creuser la théorie, le plus important, c'était sans doute ce qui était possible de faire pratiquement, et la manière dont Alice, donc, s'en servait. La sorcière ne s'était pas réellement demandé comment la princesse pouvait avoir plusieurs familles, ce n'était pas comme si c'était réellement impossible, c'était même presque courant sur Terre, même si c'était plus facile pour les hommes. Après, si ses enfants à Sylvandell et ceux à Mijak avaient une certaine différence d'âge, elle aurait très bien pu accoucher des premiers, puis des deuxièmes, sans que ça soit bizarre. Mais l'explication semblait tout autre, elle avait une variante, et chacune vivait sa vie, tout en étant liée à l'autre pour que chacune vive les deux, en résumé.

"Mais alors, la variante a dû quitter sa réalité d'origine?"

Selene comprenait bien le concept, ou en tout cas elle en avait une idée qu'elle pouvait prendre pour de la compréhension. Elle ne s'inquiéta pas vraiment de savoir, dans ce cas, pourquoi Alice n'était pas restée à Sylvandell tandis que sa variante l'attendait à Mijak, puisqu'elles étaient, en quelque sorte, la même scindée en deux, mais on pouvait supposer que c'était surtout pour accompagner la mutante. La mettre sur le dos d'un dragon et la laisser partir seul aurait sans doute soulever plus de questions que cette option. Par contre, si la sorcière avait bien compris, la variante dont il était question était dans la même réalité, ou ça voudrait dire que le Mijak où elles étaient et le Sylvandell d'où elles venaient étaient deux réalités différentes, et il lui semblait que ce n'était pas le cas. Après, ce n'était pas si étonnant, Selene avait déjà vu plusieurs cas de personnes venant d'une autre réalité, et s'installant finalement, principalement parce que la leur craignait complètement. Enfin, le sort et l'histoire de la variante ne l'intéressait pas plus que ça, c'était juste que si la réponse à sa question était "non", ça voulait sans doute dire qu'il y avait quelque chose qu'elle n'avait pas compris.

"Mais je suppose que cette fusion n'est possible que si les consciences sont assez semblables pour s'accorder. C'est pour ça que tu cherches quelqu'un pour corrompre un peu tes variantes?"

Sur ce point, Selene hypothétisait un peu, mais ça lui semblait le plus logique. Si elle pouvait se scinder dans une variantes pour vivre une autre vie dans son corps, quelle que soit la variante, ce serait comme exproprier l'âme de sa variante pour utiliser son corps à sa place. Il était donc plus probable que la fusion dont elles parlaient était une sorte de mise en accord de leurs ressemblances, afin de devenir unique, sans que l'une ne soit obligée de s'effacer face à l'autre. C'était sans doute pourquoi la mutante ne pourrait pas réellement faire comme Alice, elle était trop individualiste pour s'entendre avec quelqu'un, même si c'était elle-même. Ça lui rappelait une histoire d'un scientifique qui s'était cloné et, à présent, les deux se disputaient sans cesse pour savoir qui était l'original. Ce serait sans doute comme ça que ça finirait pour la sorcière, avec une variante.

L’idée de « corrompre » ses variantes fit légèrement rougir Alice, et amusa de son côté Mélinda.

« C’est comme ça que tu lui as présenté les choses, alors ? »

On pouvait si facilement déstabiliser la jolie tête blonde que cela pouvait en être gênant pour une politicienne ! Celle-ci se mordilla donc les lèvres, avant de reprendre contenance, et répondit du coup aux deux questions de Séléné en une réponse :

« Le consentement est nécessaire… Enfin, c’est plutôt la limite que je me fixe. Certaines Sources peuvent forcer le consentement de leurs variants. Moi, je choisis des variants de moi qui n’ont pas vu une vie très rose. Ces… Ces autres Alice sont assez rares à trouver, et elles acceptent de jouer le jeu, de… Oui, on peut le dire… De fusionner avec moi. Je ne sais pas s’il faut que nos consciences soient ‘‘semblables’’, mais il faut en tout cas l’accord de l’autre. Alors, évidemment, si je vais voir une variante à moi qui mène une vie heureuse, elle pourrait se lier à moi, mais elle ne quitterait pas son univers d’origine.
-  La première Alice que nous avons trouvé était dépressive, et sur le point de se pendre. Une Alice très similaire à la nôtre, mais qui venait de perdre son mari. Elle ne fut pas très difficile à convaincre. Il y a des réalités alternatives où le père d’Alice n’a pas accepté l’idée que son époux soit un Bas-Elfe. »

Il était important de préciser les choses pour que Séléné ne se trompe pas sur leurs intentions ou sur ce qu’elles faisaient.

« C’est… Enfin, nous cherchons des variantes qui sont devenues… Inutiles dans leur temporalité. Qu’elles meurent ou qu’elles nous rejoignent, cela ne change rien pour leur monde. Pour l’heure, j’en ai trouvé deux, une qui partage ma vie sur Terra, et une autre sur Terre, où j’ai également quelques connaissances. Et, comme je te l’ai brièvement mentionné à Sylvandell, j’en ai trouvé une autre qui pourrait aller. Normalement, j’y vais avec Mélinda, mais je me suis dit que ça pourrait t’intéresser de participer à sa… Euh…
-  …Corruption ? compléta Mélinda avec amusement.
-  C’est… Une manière de décrire les choses. Elle… Euh…
-  Ce que ma chère Alice essaie péniblement de te dire depuis le début, c’est qu’il existe entre les réalités de curieuses interactions. Ce qui est une histoire ou un conte dans une réalité peut tout à fait exister dans une autre, selon des interactions que même les Dieux ne comprennent pas vraiment. Est-ce que l’histoire est inspirée d’une réalité alternative, ou est-ce que c’est cette histoire qui déclenche une réalité alternative ? Tout ce qu’on sait, c’est qu’il existe sur Terre un conte sur une jeune fille prisonnière d’une sorcière qui vit dans une tour, qu’une compagnie en a fait un film d’animation à succès, et que cette Raiponce existe vraiment, mais qu’elle n’a maintenant aucune prince ou forban pour venir la sauver d’une sorcière. »

Séléné pouvait aussi comprendre que son aide n’allait pas juste se résumer à convaincre cette autre version d’Alice d’accepter son marché, mais aussi, sans doute, de la défendre contre la sorcière…

Mélinda ignorait si cette Séléné avait fait ce genre de choses. Elle semblait connaître le Multivers, mais scinder son âme en la reliant à l’âme de variants, ce n’était pas banal. C’était un pouvoir divin, que seuls quelques rares humains n’ayant pas d’ascendance divine pouvaient faire… Ceux qu’on appelait des Sources. Mélinda en avait croisé une, Cirillia, et elle savait que Cirillia pouvait aller d’une dimension à l’autre, et qu’elle pouvait sentir la présence de ses variants. Une telle magie ne se trouvait pas dans n’importe quel livre, car il s’agissait de jouer avec la réalité.

Mélinda pouvait lire dans les yeux de la magicienne qu’elle avait encore bien des questions. Elle finit par en poser une, et Alice répondit rapidement :

« Je ne sais pas encore. Tu sais, c’est… C’est une sorte de partenariat. Ce type de connexions… On peut effacer l’esprit du Convergent, mais je me refuse à faire ça. La Alice que je récupère conserve ses souvenirs, sa personnalité, mais la mélange à la mienne. C’est pour ça que je m’efforce de trouver des variantes qui me ressemblent, mais il existe aussi des cas particuliers.
- Nos cibles préférées sont des variants qui sont en état de mort cérébrale. Des légumes que les médecins s’apprêtent à débrancher. Tu as dû entendre parler de ça d’où tu viens, non ? »

Le choix du pluriel était évocateur : Mélinda avait aussi développé ses propres doubles. Quoi de plus normal ? Entre sa double famille à Mijak, la gestion de ses affaires sur Terre, et sa volonté de se répandre ailleurs, il était tout simplement impossible pour une seule et même personne d’être partout à la fois. Depuis que son sang avait été infusé par l’essence de la Déesse Aphrodite, elle pouvait elle aussi accéder à ce niveau de « conscience multiverselle ».

« Le premier sujet d’Alice était un double d’elle-même qui vit sur un monde similaire à la Terre. Une jeune femme qui a subi un grave accident de la route. Ses deux parents étaient morts, et elle était dans un état catatonique. Comme Vincent Lambert, si tu en as entendu parler. »

Un détail destiné à montrer à Séléné que Mélinda connaissait bien la Terre.

« Son esprit était complètement déchiqueté. Nous avons réussi à y accéder, mais il n’y avait plus rien à recoller. Elle était vouée à mourir, donc… Enfin… On a fusionné le peu de morceaux qui restaient en elle avec le mien, et cela a permis de la ramener à un état de conscience, mais il ne restait quasiment plus rien d’elle.
- D’autres font aussi le choix de se rendre eux-mêmes. Moi, celle avec qui j’ai réalisé ce rituel était dans un asile depuis des années. Une histoire similaire à la mienne, mais où son père l’a mis dans un asile plutôt que de la torturer. Quand je l’ai retrouvé, tout ce à quoi elle aspirait était de mourir. Là aussi, quand nos esprits ont fusionné, le sien a été absorbé par le mien. »

On pouvait débattre de la moralité éthique de la chose, qui s’apparentait à une sorte de pillage mental, mais ce serait inexact. Dans le cas d’Alice, l’esprit de son double était déjà mort, et se rattachait artificiellement à la vie. Elle n’avait finalement fait qu’emprunter un corps sans vie pour lui donner un second souffle, mais avait été incapable de reconstituer les souvenirs en lambeaux de sa variante. Dans le cas de Mélinda, l’esprit de son double avait profité de cette occasion pour se suicider.

« Cela dépendra d’elle, je n’impose rien. On a une procédure pour ça, on commence par des rêves… Des rêves où je m’immisce dans les siens, et où on fait connaissance. Mais je ne vais pas te mentir, Séléné, tu es aussi là pour m’aider si jamais la sorcière devait se manifester.
- Et moi, je suis là parce que je profite toujours de la moindre opportunité, et qu’une sorcière belle et puissante comme toi, c’est ce qu’on appelle une opportunité. »

Face à la remarque de Séléné, Mélinda gloussa légèrement. Dit comme ça, cela semblait presque offensant…

« Non, tu es aussi là parce que tu es jolie, que j’aime bien ton style vestimentaire, et que je me doute que tu as sympathisé de manière très intime avec Alice. »

Elle avait beau être Reine, Alice rougit quand même. Mélinda s’en doutait déjà, elle percevait l’odeur de Séléné sur Alice. Depuis que Mélinda avait choisi de servir la Déesse Lust, elle avait aussi affiné ses sens et la magie rose. Elle pouvait donc sentir ce genre de choses. Ce n’était pas une odeur à proprement parler, plutôt un genre de phéromone qui résidait sur la personne avec qui on venait de faire l’amour. Les êtres humains sécrétaient en effet naturellement des phéromones, mais à très faible intensité. Avec la magie d’Aphrodite, on pouvait amplifier ces phéromones, mais aussi les sentir, les percevoir chez d’autres.

« Je ne souhaite pas que tu te méprennes sur nos intentions, Séléné. Quand Mère m’a appris à étendre mon esprit, j’ai senti qu’il y avait des variantes de moi en grande difficulté. J’ai juste souhaité les aider. La plupart du temps, quand on leur vient en aide, elles refusent de s’associer à moi.
- Tout repose sur le volontariat. De toute façon, nous ne sommes pas assez fortes pour nous emparer de l’esprit d’une personne sans son consentement. Certaines personnes n’ont pas envie de retrouver leur ancienne vie, et voient la possibilité d’une nouvelle vie comme une nouvelle expérience… Un peu comme un isekai, en quelque sorte. »

C’était là une autre référence très humaine ; l’isekai était un type d’histoire spécifique au Japon, où un jeune homme se retrouvait brusquement projeté dans un autre univers, souvent de type médiéval fantasy, à la suite de son décès. Jambes croisées, Mélinda enchaîna.

« J’aurai pu contacter d’autres magiciennes, mais je me suis dit que ce serait là une bonne occasion d’élargir ma liste de contacts. Après tout, si ta principale motivation est de lutter contre l’ennui, c’est que tu es à la recherche de nouvelles aventures, de quoi te stimuler un peu. SDi tu ne recherches pas le pouvoir, ni l’amour, peut-être que tu recherches le frisson du danger, l’excitation du risque… Ou juste l’occasion de t’envoyer en l’air. Si tout te semblait fade, tu n’aurais pas fait l’amour avec tant d’intensité avec ma chère Alice, non ? »

La jeune femme rougit encore.

« On… On peut parler d’autre chose aussi, non ? » soupira-t-elle.

Mélinda s’amusait, clairement.

« Quand elle rougit comme ça, c’est parce qu’elle a se rappelle ce que tu lui as fait, et qu’elle a aimé ça… Je sens son cœur qui palpite dans tous les sens, c’est la réaction classique de mes pensionnaires quand ils ont envie de faire l’amour. »

La dernière remarque de Séléné amusa Mélinda, qui sourit doucement, en devinant un sous-entendu assez provocateur.

« Seriez-vous en train de me provoquer, Séléné ? Vous avez déjà dû comprendre que moi et Alice étions très proches… »

Mélinda était donc la mieux placée pour savoir que sa meilleure amie avait plusieurs facettes à sa personnalité. Si elle était généralement timide et humble, il y avait aussi d’autres éléments de sa personnalité qui ressortaient quand on la poussait bien. Séléné avait sans aucun doute pu constater qu’elle était très perverse, et qu’elle n’était pas spécialement prude ni naïve en matière de sexe. Mélinda savait aussi qu’Alice était pugnace, têtue, et que, quand elle ne forniquait pas, elle pouvait être une souveraine redoutable. Elle était à tout le moins très consciencieuse, lisant de nombreux rapports, et soucieuse de casser l’image qu’on pouvait se faire des aristocrates. Elle recevait ainsi régulièrement chez elle toutes les couches sociales de Sylvandell. Elle avait également un côté aventurière qui ne sautait pas immédiatement aux yeux, mais que Mélinda avait pu constater dès le plus jeune âge de la Princesse, en lui offrant bon nombre de livres d’aventure quand elle venait à Sylvandell.

La vampire renchérit rapidement sur ce qu’elle venait de dire :

« Je connais Alice depuis sa plus petite enfance, vous savez. Dans un environnement aussi masculin que Sylvandell, je lui amenais des livres, je jouais à la poupée avec elle.
- J’étais petite… se défendit-elle.
- Oh, ça, je le sais bien, ma belle. Mais c’est quand même moi qui t’ai parlé des menstruations, et je pense être la première à t’avoir fait jouir. Alors, bien sûr, ma petite Alice a grandi, elle a un mari, elle a retrouvé sa véritable mère, mais je me considère toujours comme étant un peu… Sa marraine ? »

Elle avait été bien des choses, et il semblait évident que, comme à chaque fois avec Mélinda, tout ce qu’elle avait fait n’était pas totalement désintéressé. Une Princesse était appelée à grandir, à devenir Reine. Autant avoir de très bonnes relations avec elle.

« La chose est courante sur Terra, vous savez, Séléné… La magie est puissante sur ce monde. Les fils de nobles disposent souvent d’une magicienne attitrée qui les forme à la magie, qui entretient leurs défenses, et qui joue le rôle de marraine, de mère de substitution. Enfin, je me suis aussi attachée à elle, c’est pour ça que j’insiste pour rencontrer chacun de ses partenaires sexuels. »

Mélinda sourit ensuite, un brin provocatrice. Jambes croisées, elle avala un peu du contenu de son verre, et redonna la parole à la magicienne :

« Nous aurons sûrement l’occasion de voir ce soir si je suis assez intense pour vous. Avant cela, que recherchez-vous ? Le pouvoir, c’est à la fois précis et vaste. Des pouvoirs magiques supplémentaires ? Des serviteurs ? Des alliances politiques ? Ou peut-être que vous souhaitez vous rapprocher des Dieux… Pour l’aide que vous avez apporté à l’Empire en venant en aide à l’une de nos dirigeantes, je suis là pour accomplir vos souhaits… Autant que possible, du moins. »

L’écoutant silencieusement, Mélinda se resservit un peu de boisson. C’était un liquide spécialement destiné à elle seule. Il fallait être vampire pour apprécier le goût du sang. Séléné expliqua qu’elle recherchait le pouvoir, « l’améliroation personnelle ». L’évocation des Dieux sembla l’intriguer, même s’il y avait une incohérence dans ce qu’elle souhaitait.

« Tu n’as pas l’air intéressé par l’idée d’avoir des fidèles, ou des cultistes. Les Dieux tirent leurs forces de la foi qu’on leur décerne, de leur culte et des attributs divins qu’ils ont. »

Autrement dit, difficile de se rapprocher des Dieux en voulant la jouer perso ! Mélinda ravala une gorgée de sang frais. Il était mélangé à de l’eau et à d’autres substances pour avoir un goût frais, et pour ne pas coaguler. Rien de pire que le sang coagulé, c’était infâme ! Mélinda reprit ensuite :

« Mais, récemment, un ancien dieu s’est réveillé… Enfin, pas un Dieu comme on l’entend habituellement.
- C’est… Euh… Tu sais que je vénère le Patriarche, Séléné, n’est-ce pas ? Eh bien, le Patriarche… De ce que j’ai compris, il est un fragment d’âme d’un… Disons d’un homme, même si je peine encore à qualifier sa nature… Qui a été scellé pendant des milliers d’années dans un temple abandonné à Papua, une province impériale. Il a été récemment libéré, et se trouve en convalescence en Olympe.
- Il s’appelle Fulron, compléta Mélinda. Qui sait ? Puissante comme tu es, et ancienne comme tu es, tu l’as peut-être rencontré un jour. Il a porté bien des noms. Il se trouvait en Égypte antique, où il a permis de fonder le culte d’Aton, et il a aussi inspiré un personnage biblique très connu… Moïse. »

Cela pouvait sembler assez délirant, mais Séléné vivait elle aussi depuis des milliers d’années. Il était cependant peu probable qu’elle l’ait jamais rencontré, si ce n’est à l’époque préhistorique, et encore… Ce n’était toutefois pas le point de Mélinda.

« Pour autant que je sache, mis à part le Roi Cramoisi, il est l’être le plus puissant qui soit. Si tu recherches le pouvoir, je pourrais m’arranger pour t’accorder une entrevue. Enfin, je parle de moi, mais il faudra surtout voir avec Alice et sa mère. On n’entre pas facilement en Olympe.
- C’est à voir… Mais ça ne se fera pas dans l’immédiat, ce n’est pas comme si je pouvais les contacter avec un téléphone portable, et Mère est très occupée.
- Oui, oui, je ne fais qu’émettre des possibilités… Et puis, je ne souhaite pas que tu partes si vite, Séléné. Une magicienne aussi belle que puissante, on a envie de la garder près de soi. »

Une douce flatterie. Séléné avait de toute façon déjà indiqué qu’elle souhaitait s’occuper de l’histoire des variantes. Mélinda se disait surtout qu’elle devait profiter de cela pour s’intéresser au Multivers. Après tout, elle avait bien quitté sa dimension d’origine pour partir à l’aventure. La logique la plus simple voulait donc qu’elle s’intéresse à des aventures surnaturelles au-delà de son propre univers.

« Le Multivers t’intéresse, n’est-ce pas ? Je t’ai parlé des Sources tout à l’heure, mais cela n’a pas eu l’air de te passionner. Comment fais-tu pour voyager d’une dimension à l’autre, au fait ? »