The Multiversity

[Marishka Auschwitz]

Ce n’était absolument pas prévu. Mais Alma commence à devenir une petite célébrité locale. La raison pourrait en être attribuée à cette « tragédie » selon un gros titre de journal. A propos de la destruction et de l’incendie dans lequel a péri un pyrokinésiste et un cryokinésiste. Mais non, ce n’est pas pour ça qu’Alma a commencé à se faire connaître dans cette zone industrielle à l’écart du centre grouillant de la ville.

« Bonjour mademoiselle Alma. Merci encore pour ce que vous faites. »

Encore aujourd’hui, Alma est gênée. Cet homme qui a ralenti dans sa voiture pour la remercier : elle croit toujours que ça va être la prochaine agression. Ou la manœuvre des flics qui viendrait « enfin » l’arrêter. Parce que, à part un léger entretien, c’est tout ce qu’elle a eu en conséquence de ces actes. Une part d’elle-même n’arrive pas à accepter qu’elle ne sera pas violenter/emprisonner pour ces deux meurtres.

« Euh. Merci. »

« Non, vraiment merci, mademoiselle Alma. Cette zone était morte. Aujourd’hui, on voit les arbres et les fleurs revenir. C’est vraiment une chose très agréable à observer. »

Après l’expérience de la réalité virtuelle, Alma s’était ouverte à son environnement. Finalement, elle avait décidé de reporter son voyage et était restée dans son hangar pour continuer son apprentissage. Sur son temps libre, elle marchait aux alentours. Au début, elle s’était seulement préoccupée des plantes courant sur les murs de son propre hangar. Puis elle avait aidé la nature à repartir parmi les cendres et les décombres du lieu de bataille. Ensuite, elle n’avait pas supporté de voir de petits arbres mourir de déshydratation dans de gros pots colorés pour égayer la devanture d’un site industriel.

Petit à petit, elle était devenue la « Sainte aux Plantes ».

« Enfin je te trouve, toi ! Viens par-là faut que tu me donnes une info. Hey ! C’est à toi que je parle la gothique. »

Alma se relève alors que sa paume était en contact avec le sol, pour une conversation avec des coquelicots rouges. Debout, elle toise le motard et découvre que ce n’est pas un humain normal. Ses deux avant-bras ainsi que ses mains sont recouverts d’acier. Ça ne ressemble pas à une armure mais plutôt à des prothèses.

*Un humain amélioré par la technologie ? *

« J’ai besoin du numéro de la nana qui était avec toi. L’espèce de punk qui se balade quasi à poils. Je veux sortir avec elle. L’emmener en ville. Lui payer à bouffer et… bon, je vais pas te faire un dessin, hein ! Mais tu t’imagines bien que je suis pas à la recherche d’une aventure romantique : ah ah ! »

Une petite veine palpite au niveau de la tempe d’Alma. Elle commence à se rapprocher de l’inconnu aux prothèses.

« Je pensais que ce serait plus compliqué de chopper son numéro. Je suis content de voir que tu as tout de suite compris que c’était la meilleure des solutions. Ca m’aurait quand même embêté, disons un peu, de te briser un os ou deux. Faut dire que je ne contrôle pas vraiment la puissance de ses bébés. »

L’homme exhibe ses prothèses. Il en prend soin comme une voiture. Il doit les lustrer étant donné la façon dont la lumière glisse sur les courbes froides de l’acier.

« J’ai du mal comprendre… »

« Quoi, mon chou ? »

« J’ai cru que tu avais manqué de respect à Shayne… »

La voix est grave. La colère gronde dans la gorge d’Alma. Mais l’homme aux prothèses ne semble pas posséder d’instinct de survie pour le mettre en garde. Tant pis pour lui.

« Au contraire, mon chou. Je vais tellement respecter son corps nu quand elle aura les jambes écartées : ah ah ! Euh… Hein ?... Pourquoi ça fait mal ?... PUTAIN ! C’est quoi le bordel, là ?!! »

Une liane verte au tranchant aiguisé de gris se trouve de part en part de la cuisse de l’homme aux prothèses.

« Dès que je retire cette liane, tu vas pisser le sang. J’ai visé l’artère. »

« Mais c’est quoi ton problème, grosse conne ?! Putain mais merde ! Pourquoi tu m’attaques ?! »

« Tu as manqué de respect à Shayne… »

« Tu vas crever, SALOPE !! »

Une liane s’enroule autour du poing qui s’élance vers le visage d’Alma. La pression écrase et détruit la prothèse. L’homme souffre. Les larmes coulent sur ses joues. Le pantalon boit le sang qui s’écoule de sa cuisse.

« CREèèèVEeee !!! »

La deuxième prothèse finit dans le même état que la première. Alma récupère ensuite la liane qui se trouvait logé dans la cuisse. L’homme aux prothèses s’écoule par terre. Il est manchot des deux mains. Il n’a plus aucune possibilité de compresser la plaie mortelle à sa cuisse.

La bouche de l’homme s’ouvre et… la boots d’Alma détruit ses dents !

Le moteur de la moto rugit tandis qu’elle tourne la poignée d’accélérateur. Elle est énervée. La rage provoque un boucan entre ses oreilles. L’homme aux prothèses a fait ressurgir quelque chose. Tout ce qu’elle avait accumulé en elle ces dernières semaines suite à l’échange dans la réalité virtuelle… Tout est en train de ressurgir. Tout ce qui a été intériorisé a enfin trouvé une brèche par laquelle s’immiscer et ressortir au grand jour !

Alma arrive dans son hangar. Elle souffle fort. La veine bat à sa tempe. Elle a besoin de se défouler. Elle voudrait crier. Frapper, cogner, exorciser ce qui bousille l’équilibre de son corps et de son esprit !

[Jeannie]

Jeannie incarne:


Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

Depuis la… Discussion… Dans la réalité virtuelle avec Alma, je n’ai pas de problème à le dire, j’ai pris une certaine distance par rapport à elle. J’ai besoin de comprendre, voyez-vous… Pourquoi est-ce que j’ai développé une certaine proximité avec elle et pourquoi je tiens tant à être une mère adoptive pour elle. Ce serait tellement plus simple de la faire rentrer dans le moule comme les autres… Mais bon. S’il y a bien une chose que j’ai apprise, c’est que les mortels sans pouvoirs sont faciles à manipuler. Ceux qui ont des pouvoirs demandent, en général, plus d’efforts pour arriver à des résultats. Reste et demeure que dans le cas d’Alma, je me montre encore plus prudente. Si je ne fais pas attention, je vais vraiment m’attacher à elle et il n’y a rien de plus terrifiant que l’attachement. C’est une vulnérabilité facilement exploitable, par vos alliés et vos ennemis.

D’où le pourquoi j’ai été moins présente ces derniers temps. Il est facile de prétexter toutes sortes d’urgences et autres tâche critiquement importante. Et ce n’est pas un mensonge, j’ai été très active. Si Alma regarde un peu la télé, elle a pu voir la marque de sa déesse dans une série d’attentats contre plusieurs centrales polluantes ou sites de production / extraction de pétrole. Je ne le fais pas pour sauver la planète, loin de là. Cela fait partie d’un plan plus vaste entre moi et mon… Comment dire… Bienfaiteur. La personne qui m’a rendu stable. Oui parce que bon, être à la tête d’un culte, avoir des compagnies écran, avoir plus d’influence que ne le suspecte mes ennemis, c’est une chose. Mais ces choses demandent du temps et de l’énergie. Alma peut se considérer comme unique ou supérieure, cela ne change pas le fait qu’elle est une personne dans un tout beaucoup plus vaste. Enfin.

Fort probablement que j’aurais retardé ma visite encore un peu (tant à faire et si peu de temps…) si ma télépathe, à qui j’ai demandé de garder un œil sur Alma, ne m’avait pas informé qu’elle avait détecté un flot de pensées qui pourrait nécessiter mon attention. Un coup de téléportation plus tard, je suis assise dans le salon d’Alma, à attendre son retour. Oh peut-être que ses plantes lui auront dit que je suis là… Sinon elle aura la surprise de me voir. C’est difficile de faire une surprise à quelqu’un qui peut sentir le monde à travers le métal et les plantes, en fait. Mais bon. Selon ce que m’indique la télépathe, ma… Fille adoptive… Est de fort méchante humeur et de façon générale, un bon parent s’assure d’être là quand son enfant ne va pas bien. Donc… Me voilà? Je ne sais même pas comment elle va réagir… Mais bon, comme dit l’expression : on traversera le pont rendu à la rivière.

Et puis vous savez, le propre d’une bonne mise en scène, c’est l’effet que vous donnez. Je suis en train de lire quelque chose sur mon téléphone intelligent, confortablement assise dans un fauteuil, comme si attendre son retour était la chose la plus naturelle du monde. Mon expression est indéchiffrable et c’est voulu : Ce serait mal jouer mes cartes que d’avoir l’air inquiète ou avoir un air je sais tout. On va voir comment elle réagit à ma présence, si elle a quelque chose à dire et ensuite, seulement ensuite, nous passerons à la suite des choses. Car suite des choses il y aura, cela ne fait aucun doute. Il s’est passé quelque chose. Le quoi m’est inconnu pour le moment, ma télépathe m’a juste avisé d’un flot de pensées troublant. J’ai agi sur cette information, c’est tout. Peut-être est-ce trivial, peut-être que non. Mais ma télépathe sait mieux que quiconque ce qui arrive à ceux qui me font perdre mon temps… Donc ce doit être digne de mon attention.

[Marishka Auschwitz]

Ça bouillonne à l’intérieur d’elle. Alma ne s’était pas attendue à la visite de Shayne. Après avoir ouvert brutalement la porte de son hangar, elle se retrouve en apnée avec le corps tremblotant. Toute la colère qu’elle pensait déchaîner se retrouve coincée. Comment extérioriser tout ce qui est mauvais alors que sa mère… alors que Shayne ?... alors que sa Déesse ?... ?... BREF ! Alors qu’elle n’est plus seule ?!

Impossible d’avancer. Non concevable de rester sur place à monter en pression comme une bombe. Donc Alma fait la seule chose qui lui paraisse cohérente à ce moment-là : elle ressort dehors.

*Merde merde merde et MERDE ! Mais qu’est-ce qu’elle fout là ? *

Alma se retourne et regarde la porte de son chez-soi.

*Et si… Et si c’était son test ? C’est elle qui m’a envoyé ce motard de merde ? Pourquoi ?! *

L’idée commence à coloniser son être. Après tout, c’est tout de même une étrange coïncidence de découvrir Shayne qui l’attend après la violente rencontre de l’homme aux prothèses.

*Je fais quoi maintenant ? Je suis sûre que j’ai l’air conne à être dehors alors qu’elle m’attend à l’intérieur. Mais je lui dis quoi ? GRR ! Mais merde, quoi !! *

Alma fait les cent pas. Elle pourrait se remettre en selle et repartir sur la moto qu’elle a volé à l’homme mort aux prothèses. Mais ce serait fuir la confrontation. Elle n’a aucune raison de faire ça, si ? Bon, il est vrai qu’elles s’évitent plus ou moins depuis plusieurs semaines. Sans compter le fait qu’elle vit maintenant. Elle a arrêté de survivre. Alors pourquoi fuir si ce n’est pas pour vivre une journée de plus ? Sans compter que ça l’ENERVE !

Alors elle pousse la porte de nouveau et se retrouve, une nouvelle fois, à l’intérieur de son hangar.

« Bonjour. »

Ça ne gagnera pas le prix de l’éloquence de l’année mais mieux vaut ça que le silence embarrassant.

« Bon, je n’ai pas envie de tourner autour du pot alors je vais te le demander directement. J’ai réussi le test ? Ou alors cette conversation est la deuxième partie du test ? Pourquoi ce gars aux prothèses ?! »

Alma se rapprocha de Shayne et s’assoie dans le canapé en face du fauteuil dans lequel se trouve Shayne. Elle replie ses jambes contre son torse et les entoure de ses bras. Une image d’adolescente à problèmes plus que d’une adulte se confrontant à ses problèmes. Il n’empêche pourtant qu’elle le fait. Alma étant de toute manière prisonnière entre un statut d’adolescente en manque d’éducation et un statut d’adulte en manque d’objectif.

« MERDE quoi ! Il l’a bien mérité ce con ! C’était rien qu’un gros dégueulasse qui voulait abuser de vous ! Puis, il a pas tort aussi : pourquoi se trimballer à moitié à poils comme ça ? Les hommes ne sont que des animaux dirigés par leur bite et non par leur cerveau. Je ne m’excuserais pas. Si c’était à refaire, je le tuerais à nouveau ! »

[Jeannie]

Jeannie incarne:


Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

« Quel test? Je n’ai rien à voir avec cet individu ou ce qu’il a pu te dire. Tout ce que je sais, c’est que j’ai ressenti une vive émotion de ta part et cela a attiré mon attention, d’où ma présence ici.  Et s’il m’a manqué de respect, il a eu ce qu’il mérite, c’est tout. Je ne vois pas où est le problème. Il a blasphémé et a payé le prix de son arrogance. Je n’ai pas de raison de te réprimander pour une juste action. »

Je lui souris. Il y a un brin d’arrogance derrière mais c’est juste pour montrer que ce n’est pas parce qu’elle croit que quelque chose est vrai que c’est le cas. Je n’ai effectivement rien à voir avec cet imbécile et je ne vais clairement pas blâmer Alma parce qu’elle a fait le ménage. Se débarrasser des ordures est quelque chose que je fais moi-même de temps en temps. Bon, quand je le fais, le nombre de morts est beaucoup plus élevé qu’une seule personne mais… Je ne suis pas du genre à hésiter quand il faut faire le nécessaire. Je me demande ce qui la pousse à penser que j’ai quoi que ce soit à voir dans cette histoire. Que je sois ici est si surprenant? Si elle avait un meilleur contrôle d’elle, elle aurait potentiellement échappé à la vigilance de ma télépathe. Mais c’est sans importance. Ce qui est fait est fait et il est trop tard pour elle pour faire marche arrière, à ce stade.

Vous remarquerez également que j’ai répondu uniquement à ce que j’avais envie de répondre. Je m’habille comme je veux et je n’ai de comptes à rendre à personne d’autre que moi. Je la laisse continuer à s’insurger. À livrer le fond de sa pensée, à ventiler, comme vous dites. Je suis immortelle. J’ai tout mon temps. Je trouve quand même amusant que ce soit un des points qui la fasse tiquer. La façon dont je m’habille. Mais si c’est quelque chose qu’elle désire aborder… Pourquoi pas. Ce n’est pas comme si cela me dérangeait de toute façon. Il y a peu de sujets qui me dérangent, en fait. Et quand quelqu’un e soulève un, il a droit à un avertissement. Après coup… Il sera définitivement trop tard, de cela je peux vous le garantir. Si vous n’avez pas compris la première fois, vous ne comprendrez pas par la suite donc je perds mon temps, tout simplement… Simple, non?

« Quant à la façon dont je m’habille… Tu te concentres sur mes vêtements… En oubliant que tout mon être, ma forme physique, est un vaste déguisement, en fait. Je n’ai pas de forme définie. Tu as déjà oublié que je suis un concentré d’émotions négatives? Je me donne une forme corporelle pour faciliter les interactions avec les mortels, c’est tout. Je pourrais devenir un double de toi. Je pourrais ressembler à Superman.

Je pourrais aussi être une théière si l’envie me prenait. Mais pour revenir a ta question, premièrement, je m’habille comme tu le vois quand je ne suis pas en train de gérer mon culte ou mes petites affaires parce que les gens ont tendance à me sous-estimer. Comme tu l’as dit, l’être humain est un animal qui pense avec ce qu’il a entre les jambes. Homme comme femme. Il ne leur viendrait donc jamais à l’idée que je sois dangereuse.

Tu as un problème avec la façon dont je m’habille, Alma? Jalouse, peut-être, parce que j’ose me mettre en valeur et toi non? Une jolie enveloppe sert plusieurs fonctions. Convaincre et manipuler en font partie. Tu devrais avoir retenu cette leçon, non? Toujours avoir un arsenal diversifié à sa disposition. C’est une des choses que j’ai tenu à t’enseigner à tes débuts. Et je le redis. Tu as bien fait de faire le ménage, d’éliminer cette ordure. »

[Marishka Auschwitz]

Rhaaa ! C’est toujours déstabilisant de parle avec Shayne. Au-delà de ses paroles, il y a ce « je ne sais quoi » qui la place au-dessus. Cette pseudo interaction « mère adoptive/fille adoptée »… Probablement… Il ne faudrait pas non plus se jeter sur cette excuse pour expliquer ces sautes d’humeur et ses silences…

« Oui, oui, c’est vrai. Shayne est une Déesse qui pourrait me copier et sait comment manipuler les moutons. Oui… »

Comment rester en colère face à une telle personne ? Alma entretient d’elle-même cette rage brûlante dans ses veines mais… mais elle aurait tout de même envie d’être calme face à elle. Si elle dit que ce n’était pas une épreuve, ce n’en est pas une. Et même si elle mentait ? Qu’est-ce que ça changerait ? Rien. Absolument rien du tout. Il y a un cadavre parce qu’il y a eu insulte. Un manque de respect reste un manque de respect peu importe qu’il y ait mensonge ou non.

« Ne deviens pas une théière s’il te plaît. Ce serait très… bizarre de continuer la conversation si tu avais cette forme. »

*Qu’est-ce que c’est ? Une forme d’humour ? Pour désamorcer les intensités émotionnelles ? Je fais ça moi maintenant ? *

« Je suis perdue soudainement. Qu’est-ce que je dois faire ? Apprendre à me déshabiller ou aller chercher le cadavre à la vue de tous ? C’était déjà suffisamment chiant la dernière avec le pyromane et l’autre… »

Alma le réalise pleinement : sa colère est tombée comme un soufflé raté. Shayne l’a calmé simplement avec quelques mots. Probablement qu’ils sont bien choisis et qu’ils font appel à des notions de psychologie. Mais Alma n’est pas intéressée par faire une autopsie de soi-même.

« J’ai récupéré sa moto. »

*Pourquoi est-ce que je viens de dire ça ? Vraiment ? Je n’arrive pas à supporter un petit silence avec elle. J’ai ce besoin impérieux de combler le vide ? Pff… *

« Je veux dire. J’ai bien compris la leçon la dernière fois. Je n’aurai pas dû utiliser le cadeau comme une pseudo-arme. Et j’ai bien compris que je devais en retrouver une moi-même. Alors voilà. J’ai une nouvelle moto. Je préférais l’ancienne mais bon… »

*Sérieusement ? Autant parler du temps qu’il fait dehors maintenant. C’est pitoyable ce niveau de conversation, Alma… *

Un peu plus et elle baisserait les yeux et dandinerait de son corps comme une adolescente mal dans sa peau. Heureusement qu’elle continue à se tenir droite. Bon, la regarder dans les yeux est trop difficile alors elle regarde à gauche et à droite. Elle essaie de se persuader qu’elle procède à une vérification de la bonne hygrométrie de l’air pour ses chouchoutes vertes…

[Jeannie]

Jeannie incarne:


Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

Elle est presque mignonne quand elle est ainsi confuse, ne sachant pas sur quel pied danser… Cela arrive souvent quand les mortels parlent avec les immortels. Votre impétuosité se retourne contre vous. Elle a vraiment l’air d’une adolescente quand elle est dans cet état… Je m’attendrais presque à la voir taper du pied et faire les gros yeux, tiens. Mais bon. Encore une fois, dans mon infinie sagesse (tousse, tousse), c’est à moi de remettre les choses en perspective. Après tout, c’est mon rôle en tant que déesse, non, ainsi qu’en tant que… Mère adoptive… Je ne me ferai jamais complètement à ce titre. Mais bon, en ce moment, c’est sans importance que je m’y fasse ou non. Autant montrer qui est en contrôle de la situation, qui est l’adulte dans la pièce. On me dira : mais Alma EST une adulte. Qui a des millénaires d’existence, hum?

« Que je sache, tu ne prends pas ton bain ou ta douche habillée donc tu sais très bien te déshabiller. Et non, je ne compte pas me changer en théière, c’était un exemple. Pour ce qui est du cadavre, tu n’as pas à t’en faire. J’ai déjà donné des consignes pour que ce soit pris en charge. Je suis venu te voir, pas te faire faire du ménage.  Enfin. Plus de ménage que tu en as déjà fait en te débarrassant de cet imbécile blasphémateur.

Pour ce qui est de la moto, tant mieux, tu as un nouveau moyen de transport. Qui sait. Si tu continues de faire des progrès et de bien te comporter… Tu auras une nouvelle moto pour ta fête. Je ne fais pas de promesse. Non, je ne dis pas cela de façon condescendante ou infantilisante, avant que tu ne te comportes comme une adolescente vexée. Tout ce que je dis c’est que tu as appris de tes erreurs et si je punis les mauvais comportements, je récompense les bons. J’ai vu ce que tu fais dans ce quartier, sainte aux plantes. »

Nouveau sourire de ma part. Rien de méchant ou de provocateur mais l’amusement est définitivement dans mon regard. C’est presque… Rigolo, en fait. Alma qui semble perdue et peu sûre d’elle sur certains aspects, devenue la protectrice de son quartier. Tant mieux j’ai envie de dire. Certes, elle n’a pas dit à tous qu’elle était ma… Disciple… Ce qui est une bonne chose car les médias ne vont pas souvent me présenter dans la meilleure des lumières mais… Qu’elle puisse se faire un nom sans dépendre du mien fait plaisir à voir. C’est une prise de maturité de sa part et comme quoi elle ne gâche pas cette seconde chance que je lui ai donné. Elle peut déceler de la fierté dans mon sourire quand je l’ai appelé par son surnom. Chose dont peu peuvent se vanter d’ailleurs. Il est plus facile de me déplaire que de me plaire. Je suis une déesse après tout. Je dois être…

Capricieuse à mes heures, en fait. Faire ma difficile. Sinon c’est trop facile pour les fidèles d’avoir ce qu’ils veulent et ce n’est plus très amusant. Je me demande comment Alma va réagir. De savoir que même si nous ne sommes pas vues depuis un certain temps, j’ai quand même un œil sur elle. Sa poitrine se gonflera-t-elle d’orgueil? Oh elle aurait le droit je dirais. Ou sera-t-elle très… Alma… Et ne pas savoir apprécier les bonnes choses quand elles se présentent à elle? On dirait qu’elle est masochiste et adore se torturer l’esprit avec un rien. Mais bon. Alma est Alma et elle apprend graduellement à vivre. À apprécier cette nette différence avec survivre. Je ne dis pas qu’un jour elle va devenir fan de comédies romantiques et s’habiller en rose, non. Tout ce que je dis c’est que j’espère que, graduellement, elle va commencer à sourire et à apprécier plus ce qui l’entoure.

[Marishka Auschwitz]

Pourquoi faut-il qu’elle se sente toujours perdue en la présence de Shayne ? Elle pensait qu’il lui faudrait ajouter argument sur argument pour défendre son homicide non prémédité et… voilà que Shayne lui parlait gentiment et la… rassurait ?

*Je ne suis pas une ado vexée ! Et dire que tes mots ne sont pas infantilisants les RENDS infantilisants, justement ! RHaa ! Je ne sais plus quoi penser et quoi dire ! *

Elle avait vraiment envie de taper du pied par terre comme une adolescente. L’idée d’aller se réfugier dans sa chambre la titilla également. Après tout, la dernière fois, lors de cette « fameuse » conversation, s’y rendre avait eu des aspects positifs. Pourquoi ne pas recommencer ?

*Elle m’a appelée la Sainte aux plantes ? Comment est-ce qu’elle sait ça ? C’est tout récent et je ne l’ai presque pas entendu. De la bouche d’une enfant qui ne doit même pas avoir six ans. De la bouche de ce petit vieux qui s’habille comme un gentleman. Très chic, ce papy. Ah ! Et j’ai également vu ce graffiti vert. Mais bon, tout ça est récent. Et… du coup… c’est moi ? Je veux dire : je dois en être contente de cet alias ? Le faire mien ? Rhaa ! Mais j’en sais rien ! Ce n’était même pas ça le sujet au départ. *

« La Sainte aux plantes ? C’est un stupide nom qu’on m’a donné dans le coin. Ce n’est rien. »

Bien sur que c’est un mensonge. Mais Alma ne sait pas encore accepter les compliments. C’est compliqué de découvrir que ces actions sont bien vu par des inconnus. Elle a choyé les plantes des environs sans arrière-pensée. Maintenant ? Elle se demande si elle ne devrait pas en avoir ? Est-ce que la remarque de Shayne doit la faire aller dans ce sens ? Est-ce que c’est une façon de lui donner l’impulsion pour faire aller sa vie dans la bonne direction ? Tellement compliqué d’interagir avec les autres quand il ne s’agit pas simplement de meurtre ou de fuite pour survivre un jour de plus…

« Et, euh, merci. Pour le cadavre. J’aurai pu m’en charger. J’aurai dû m’en charger. C’est moi qui l’ai tué, après tout. Mais, hum, oui, merci. »

Impossible de regarder Shayne dans les yeux. C’était inconfortable cet épisode de remerciement. Elle se sentait… bizarre. Ouais, difficile à décrire. Elle n’y était pas habituée. Donc elle allait rester sur bizarre.

« Concernant ce surnom… hum, ridicule. Est-ce que… ça te plairait d’aller voir pourquoi les gens d’ici m’appellent comme ça ? »

*C’est débile, Alma ! Elle doit déjà tout savoir. Elle va forcément te dire non. Et puis aller voir quoi au final ? Il n’y a rien d’extraordinaire. Pas de plante aux couleurs chatoyantes. Pas de forêt géante qui aurait fait revenir des espèces en voie d’extinction. J’ai simplement donner quelques coups de pouce, quelques arrosages. Vraiment, ce ne sont que des petits riens essaimés ici et là. Oui, elle va forcément dire non et on retournera chacune à notre vie. De toute façon, ces derniers temps, elle ne restait jamais longtemps… *

[Jeannie]

Jeannie incarne:


Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

« Alma… Qu’est-ce qu’on a dit à propos de la survie? Tu vis, maintenant. Donc tu dois prendre le temps d’apprécier les choses. Si tu continues de réfléchir comme avant, tu ne pourras jamais apprécier la vie. Tu as fait de bonnes actions. Les gens l’ont remarqué. Ils t’ont donné un surnom. Est-ce qu’il est ridicule? Peut-être. J’ai toujours détesté la religion, pour ma part. C’est un outil utile… Mais que je déteste.

Mais s’ils t’appellent la sainte aux plantes parce que tu as aidé, consciemment ou non, à améliorer leur quotidien, c’est pour la plupart une marque de respect. Tu devrais en être fière car ce n’est certainement pas Marishka qui aurait eu le droit à ce genre de… Positif… Dans le monde dont tu viens. Sois fière, Alma. Sur plus de sept milliards de personnes sur cette planète, la très grande majorité sont condamnés à l’anonymat. Toi non. »

Il faut savoir se montrer encourageant sinon comment voulez-vous qu’elle comprenne qu’elle doit savoir apprécier les compliments? Honnêtement, des fois, je ne sais pas quoi faire avec elle. Non, non, je ne dirais pas qu’elle me désespère mais avec toute l’éducation et la formation qu’elle reçoit, j’ai du mal à comprendre pourquoi elle n’est pas capable d’apprécier davantage la vie. Il y a des réflexes qu’elle aurait dû développer et qui sont encore absents chez elle. Non, je ne peux pas en faire une élue dans cet état. Elle n’a pas la maturité requise. Cet égo qui est sien devrait être mieux formé que celui qu’elle a. Mes élus savent qu’ils sont supérieurs au commun des mortels et ils savent apprécier un compliment. Ou deux. Ou trois. Il y a encore du travail à faire avant que Alma soit prête à porter le poids de telles responsabilités. La faire sortir davantage de sa coquille.

Et elle continue d’être adorable en tentant de jouer les grandes personnes alors que tout dans son attitude laisse voir une adolescente contrariée. Et j’ai bien vu ce qu’elle a fait. Elle se dit que comme je sais déjà, je n’ai pas besoin d’aller voir ce qu’elle a fait et c’est donc une fausse proposition pour tenter de reprendre le contrôle de la situation. Oh Alma, Alma, Alma… Tu joues contre une demi-déesse à la tête d’un culte… Est-ce que tu pensais réellement que tu pourrais prendre l’avantage sur moi ou je ne sais quelle amusante fantaisie se passe dans ta tête? Oh que non. Les choses ne fonctionnent pas ainsi. Enfin. Pas si j’ai mon mot à dire. Donc… Nous allons encore une fois prendre tes certitudes et les retourner à l’envers, comme un sablier. Un jour, qui sait, peut-être qu’elle apprendra la leçon. Elle ne peut pas gagner contre sa mère adoptive. Euh… Sa déesse.

« Pour le cadavre, je t’ai dit que quelqu’un s’en occupait. Je ne vois pas trop comment tu aurais pu le gérer, à moins d’avoir une énorme plante carnivore pour le manger et une autre capable de nettoyer des traces de sang. Corrige-moi si je me trompe mais je n’ai pas encore vu cela dans ton arsenal. Était-ce une surprise que tu me réservais? Un nouveau tour dans ton sac pour t’aider à atteindre cet objectif que tu t’es fixé?

Et oui, j’adorerais voir pourquoi on t’appelle la sainte aux plantes. Et qui sait, peut-être rencontrer en même temps ceux qui te donnent ce surnom. Tu es investie d’une grande responsabilité désormais. Ce sont tes protégés. Donc, de les connaitre, au moins de nom, comme ils sont peu nombreux, est une bonne stratégie pour faire croitre ta renommée et l’impact que tu as dans leurs vies simples et insignifiantes. Ce sont, après tout, des gens ordinaires. En dessous de toi. »

[Marishka Auschwitz]

Bien sûr que les gens qui l’appelaient la « sainte aux plantes » n’étaient rien. Alma en avait conscience. Mais elle n’avait pas compris le lien qu’elle avait formé avec eux. La… responsabilité qu’elle endossait soudain. Ces vies au-dehors étaient les siennes. Ce n’était pas simplement une question de prendre soin de la nature aux alentours de son hangar. Il fallait également prendre soin (ou non) des humains qui avaient une interaction avec cette nature qu’elle choyait.

C’était une révélation.

Tout comme celle, plus inconsciente, qu’être appelée une sainte et devoir s’occuper d’êtres humains la faisait ressembler un petit peu plus à la Déesse qu’elle avait pour… mère adoptive. C’était perturbant.

« Je dois connaître les noms de tous les êtres humains des environs. Ça semble fatiguant et inutile. L’ombre qui m’espionne chez moi ne pourrait pas en faire la liste. Non non ! C’est bon, je n’ai rien dit. Pas besoin de me dire que ce n’est pas comme ça que je dois opérer. Ou que cette ombre n’est chez moi que quand elle est demandée. Pff… »

Donc il faut retourner dehors. Présenter les plantes dont elle prend soin. Trouver les gens qui lui ont donné ce surnom et leur parler. Alma ferme les yeux et soupire à nouveau. Parfois, être une élue est fatiguant. Elle ne pensait pas que ça représentait autant de travail et de concessions. Oui, vraiment fatiguant.

*Ça n’empêche que tôt ou tard, tout le monde reconnaîtra en moi la seule et unique ! L’Elue de la Déesse avec un E majuscule ! *

Pendant que ses yeux étaient fermés, Alma communique avec le Vert et sonde les environs. Où se trouve l’humain le plus proche ? Tiens, Shayne avait raison : le cadavre n’est déjà plus là. Ah, et en parlant de plantes, elle n’a effectivement pas une plante carnivore suffisamment grande pour se débarrasser d’un cadavre. Mais des versions plus petites capables de manger des animaux : oui. Avoir une grande serait problématique à nourrir. Il faut dire qu’elle a déjà penser à en développer une pour se débarrasser ou tout du moins s’imposer à cette ombre invisible au service de Shayne…

« On peut sortir. Je sais où aller pour commencer. »

Elle commence à marcher puis s’arrête pour vérifier qu’elle est bien suivie.

« J’ai trouvé un de mes… protégés. Parmi les gens ordinaires, c’en est vraiment un faible. »

De l’autre côté de la route, pas si loin du hangar d’Alma, se trouve un grand hangar lugubre d’aspect. Devant un petit cabanon qui sert d’accueil. Pour égayer un peu le lieu, quelques gros pots colorés forment un chemin vers la porte d’entrée. Dans ses gros pots rouge, jaune, bleu ou encore rose ont été planté de petits palmiers. Alma les a nourris et les a fortifié alors qu’ils étaient faibles voire mourants pour certains.

« Là. Il y en a un. »

Les mains dans les dos, un béret sur la tête et une belle moustache blanche au-dessus de la lèvre : un vieil homme observe un palmier. Il entend les deux femmes se rapprocher, se retourne et affiche un grand sourire en disant :

« Ah ! La Sainte aux plantes. Belle journée à vous. Vous êtes vraiment un rayon de soleil pour cette zone. Merci encore de vos attentions. »

« Je… D’accord. Euh… Voilà ma mèr-, enfin, voilà Shayne. Elle voulait vous voir. Pas spécifiquement, vous. Comment dire ?... »

[Jeannie]

Jeannie incarne:


Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

« Connaitre tous leurs noms? Toutes les personnes de ce quartier? Jamais voyons. Non, non. Tu dois être… Sélective. Vois ceux qui parlent de toi avec le plus de respect. Ceux qui ont le plus de dévotion. Eux, retiens leurs noms. Et utilise-le. Cela va rendre le reste jaloux. Car eux ne sont pas dignes de se faire parler ainsi par la sainte aux plantes. Ce ne sont pas tes protégés car qu’ils sont sur ton territoire. »

Je me penche vers elle pour lui dire un secret. C’est parfaitement inutile, dans le grand ordre des choses, il n’y a personne pour nous entendre. Mais je sais que bien des égos se sentent flattés quand ils ont l’impression de prendre part à quelque chose de secret. Et ce que je vais lui dire est une importante leçon qu’elle ne connait probablement pas. Quand vous êtes trop occupé à survire, les machinations et la planification de longue durée ne sont clairement pas dans vos priorités. Je ne dis pas qu’Alma est stupide, ignorante ou n’importe quoi de cela. Mais qu’elle le veuille ou non, elle a un rôle à jouer désormais dans sa communauté et je veux qu’elle soit correctement outillée pour y parvenir. Vous n’allez quand même pas me blâmer pour ça? Il faut bien s’assurer que sa progéniture (adoptive) ait les bons outils pour vaincre toute compétition dans la vie…

« Ne fait jamais rien pour rien. Chaque action a un but, un objectif. Tu veux augmenter ton pouvoir. Tu veux rallier des gens à ta cause. Tu veux poser un geste qui va faire augmenter ta popularité. Les super héros vont dire qu’ils ne le font pas mais ils le font encore plus que toi, moi ou les soi-disant super criminels. Ce quartier est ton futur royaume, en un sens. Ceux qui y vivent doivent mériter ton attention. Ta protection.

S’ils en sont indignes, ils méritent leur malheur. Un ou plusieurs accidents. En te concentrant sur ceux qui te sont le plus dévoué, même s’ils ont l’air faibles et insignifiants, ils pourraient jouer un rôle que tu ne suspectes pas. Un proverbe dit : la foi peut déplacer des montagnes. Tu serais surprise de savoir ce que mes fidèles sont prêts à faire pour moi, si je le demande. Pas l’ordonner, notes le bien. L’admiration. Pas la peur. »

Sur ces sages paroles, je suis Alma qui va me montrer ces fidèles qu’elle est en train, s’en rendre compte, de rassembler autour d’elle. Je suis très fière d’elle, en tout cas. Instinctivement, elle se positionne comme la force dominante de l’endroit. Il y a plus à dominer, que la force brute. La première personne que je rencontre est un vieil homme et nous discutons un moment poliment. Il ne semble pas avoir entendu le presque lapsus d’Alma, sans doute plus occupé à me regarder. Je sais, c’est révélateur. Mais quand on a un corps divin comme le mien, on veut le montrer. Ça donne des complexes aux moches, fait jalouser les pseudos « alpha bitches » et ça donne des pensées impures aux esprits faibles. Et comme tout enfant en présence de son parent, sans doute qu’Alma voudrait s’enterrer dans le sol en entendant le vieil homme la complimenter…

« Oh vraiment? Son travail sur vos plantes a aidé votre modeste commerce à augmenter ses ventes de trente pourcents? C’est un peu plus de pain sur la table. Des revenus supplémentaires. Il y a de quoi être fière, n’est-ce pas Alma? Tu es fière de ton travail? Tu devrais. Quand on a un don, on devrait l’utiliser de façon constructive. C’est ma philosophie dans la vie. Oh? Comme c’est gentil… Alma, monsieur t’offre un de ses palmiers!

Alors? Qu’est-ce que tu attends? On dit : merci… »

[Marishka Auschwitz]

Elle l’avoue. Alma a du mal à saisir tous les propos de Shayne. La vie peut être absurde et il faut à la fois donner du sens à chacune de ses actions ? C’est contradictoire, non ? Comment perdre son temps à visiter le Taj Mahal et rentabiliser le trajet pour… pour quoi, d’ailleurs ? Augmenter son pouvoir ? Rallier des gens à la cause comme Shayne lui a donné en exemple ? Alma préfère ne rien dire. Et c’est ainsi que les deux femmes se retrouvent dehors. Sur le chemin d’un petit papy qui complimente la « sainte aux plantes ».

« Je, euh, oui, bien sûr. »

*Ce n’est pas moi qui gagne ces trente pourcents. Pourquoi je serais fière que ce soit ce petit papy qui gagne plus d’argent ? Je n’avais même pas compris qu’il travaillait ici… *

Il y a comme un malaise qui vit actuellement. Alma tourne la tête vers le papy dont le sourire semble immense avec sa grosse moustache blanche qui semble elle aussi sourire. Alma tourne la tête vers Shayne. Clairement, il y a quelque chose à faire. Ou peut-être à dire ? Cette situation est tellement malaisante pour Alma. Elle préférerait trouver un livre de nécromancie, faire revenir à la vie Monsieur Monologue le pyromane et se battre de nouveau à la mort.

*Quelque chose à dire ! C’est ça qu’ils attendent tous les deux. *

« Merci. Mais, euh, je préfère que ce palmier reste là. »

Son regard se porte au loin. Elle pourrait emmener Shayne aller voir les plantes grimpantes qui ont ôté de la vue le gris triste la rouille épuisée pour laisser place à tout un pan de mur recouvert par du vert. Mais… il semble impossible de partir sans paraitre pour une sauvageonne. La civilité l’oblige à rester bien solidement les pieds où elle se trouve.

« Ce n’est pas que je refuse ce palmier. Seulement, il est très bien ici. Vous comprenez, le soleil se trouve à ce point particulier dans le ciel. Ce qui permet à la plante de faire sa photosynthèse de façon quasi optimale. Sans compter que ses amis palmiers se trouvent dans un environnement très proches. Les plantes communiquent et les séparer maintenant après que je lui sois venu en aide la rendrait très certainement malade à nouveau. »

Alma s’arrête d’elle-même. Elle comprend qu’elle donne beaucoup trop de détails… d’ordre botanique. Ce n’est pas ça que Shayne veut entendre. Ce n’est pas ça qui va intéresser le papy à la moustache blanche. Bien que son sourire et sa bonhommie semble indiquer qu’il doit tout de même content de quelque chose. La passion de sa « sainte aux plaintes » ? Ce serait idiot comme façon d’être content, non ?

« Ce que j’essaie de dire, c’est que ce serait dommage d’enlever ce palmier et de faire un trou dans cette belle allée. Surtout que vous venez de dire que ça avait un impact positif sur votre commerce. »

*Je sens que ce n’est pas encore assez. Shayne en attend plus de moi. Quoi donc ajouter ? *

« Ce que je vous propose. On laisse le palmier ici et je reviens régulièrement pour prendre de ses nouvelles. Enfin, je veux dire vérifier que sa santé soit OK. En eau, en soleil et en minéraux dans son sol. Entendu ? Parfait ! Bonne journée, monsieur… »

Alma se souvient des conseils de Shayne. Et c’est alors à raison qu’elle laisse traîner son dernier mot pour inviter le papy à la moustache blanche à lui donner son identité.

[Jeannie]

Jeannie incarne:


Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

Je regarde Alma faire ce qu’elle a à faire. Tenter de décoder les arcanes des interactions sociales. Je ne dis rien de plus. J’attends de voir ce qu’elle va faire. Évidemment que ça la stresse. Et donc elle cherche à meubler le silence. Le silence fait peur. Il est souvent lourd. Pesant. Suffocant. On ne sait pas vraiment ce qu’il veut dire ou ce que l’autre en face pense pendant ce moment de silence. Est-ce qu’il est d’accord? En désaccord? Est-ce que c’est une bonne chose? Une mauvaise chose? En ce moment par contre le silence n’est pas hostile. Il n’est pas dangereux non plus. C’est une pause polie dans la conversation. Écouter ce que l’autre a à dire. Et comme Alma reprend souvent la parole, nous l’écoutons. Elle semble chercher… Quelque chose. La réponse parfaite, peut-être? Oh Alma, Alma, Alma… La perfection n’existe pas. Il n’y a pas de réponse parfaite.

C’est intéressant de la voir tirer dans le noir à tenter d’atteindre une cible qui pourrait bien ne pas exister, en fait. Car c’est une conversation cordiale, sans enjeux. Et je pense qu’Alma ne réalise pas encore que toute situation ne met pas forcément sa vie en jeu. Ou sa réputation. Ou autre. Le monde n’est que chaos et contradiction. Et pourtant, il fonctionne, à sa façon, indépendamment de nous. En ce moment, Alma pense que comme elle est sous les projecteurs, façon de parler, elle est forcément jugée. C’est un bon exercice pour elle pour décoder, justement, une conversation. Le vieil homme ne la juge pas du tout. Au contraire, il est très enthousiaste à l’écouter parler. Vous pourriez dire alors que c’est moi qui la juge mais ce ne serait pas exact non plus. Comme je l’ai dit, j’observe ses réactions. Comprendre le non verbal de la personne en face de vous est quelque chose d’important.

Ultimement, après avoir fait plusieurs tentatives, Alma décide de mettre fin à la conversation et elle prend même le temps de demander au vieil homme son nom. Un certain Richard Peterson. Je doute que ce soit utile comme information pour moi mais pour Alma, c’est connaitre plus « personnellement » un de ses fans. Éventuellement, qui sait. Fidèle de mon culte. En tout cas une chose est bien certaine, la prochaine réaction d’Alma risque d’être… Intéressante. Un jeune homme, sur sa planche à roulettes, s’arrête pour saluer la « sainte aux plantes ». Le seul… Problème… C’est que dès qu’il me remarque, son attention est portée sur « la sainte aux seins ». Moi, si vous préférez. Il n’a rien dit de déplacé, attention. Mais clairement, avec des shorts si serrés, ce n’est pas trop difficile de voir son érection. Je sais, je sais, je fais de l’effet aux gens, que voulez-vous, je sais…

Sauf que Alma pourrait ne pas apprécier du tout que l’on me regarde d’une telle façon. Une réaction physique de cette nature peut supposer des pensées impures et de ce que j’ai pu voir, Alma m’est fanatiquement loyale. Même si par moments elle ne semble pas s’en rendre compte. Évidemment, je compte mettre de l’huile sur le feu. Tester Alma. Je me penche vers l’avant, comme pour mieux voir, avant de demander à Alma si c’est un autre de ses admirateurs. Elle a aidé ce jeune homme, oui. Un beau parc tout refleurit, c’est quand même agréable pour les amateurs de sports qui s’entrainent à côté. Évidemment, si elle agit de façon agressive, plus spécifiquement, physique, les répercussions négatives seront conséquentes. Comment, donc, est-ce qu’elle va ramener à l’ordre cet impertinent sans le décapiter et / ou sans le castrer? J’avoue que je suis curieuse moi-même…

[Marishka Auschwitz]

OUF ! C’est enfin fini la conversation avec le papy à la moustache blanche.

*Non. Avec Richard Peterson. Alma a dit que je devais plus les connaître. Il faut au moins que j’apprenne leur prénom. Pff… *

Alma ne dit rien à Shayne. Ce silence entre elles deux la gêne beaucoup moins que le silence qu’il y avait avec monsieur Peterson. En plus de ça, elle a besoin du silence. C’est vraiment fatiguant les interactions sociales et… ça recommence déjà. Un gamin en skateboard. Un gamin EXCITE en skateboard !

Le poing d’Alma explose déjà la dentition pré pubère.

Heureusement que ce n’était que dans son cerveau. Dans la réalité, elle a le poing méchamment serré. Tout comme sa mâchoire. Elle ne comprend pas pourquoi elle s’est retenue. Au moment où elle pense reprendre le dessus, elle découvre Shayne en train d’exhiber sa plantureuse poitrine !

« Ce n’est pas… un de mes… admirateurs. »

Ça a été difficile de réussir à parler sans cracher des flammes. Dans un sens figuré, Alma ne maîtrise pas encore cette capacité. Parce que, qui sait ? Elle pourrait bien réussir un jour ou l’autre. Tout est possible pour la future super élue numéro 1 de sa Déesse.

« Enfin, si. C’est un des gosses qui joue dans leur parc. Il était dégueulasse. Du goudron tout bosselé avec des plantes, plutôt des mauvaises herbes qui tentaient de survivre. »

Alma ne parvient plus à quitter des yeux l’érection de l’adolescent. Le pire, c’est qu’il a un sacré calibre. Vraiment très compliqué de lui pardonner quoi que ce soit…

« Je les entendais râler tout le temps. Les plantes comme les gamins. Alors je leur ai parlé. Enfin, j’ai surtout parlé avec la Nature. Ce sont plutôt les gamins qui m’ont parlé après. Quand ils ont découvert que leur terrain était plan. Ce n’était pas grand-chose. Une simple répartition de la terre qui a tiré sur le goudron. Ça a permis de mieux nourrir les mauvaises plantes et de rafraichir le réseau souterrain de nutriments. Mais les gamins étaient tout fous. »

Puis c’est plus fort qu’elle. Alma avance à toute vitesse vers l’adolescent qui ne sait pas quoi faire devant une telle furie. Un coup de pied dans le skateboard lui fait perdre l’équilibre. Alma le suit dans la chute et sa main empoigne son érection. Sa bouche se rapproche de l’oreille du gamin en douleurs.

« Tu vas cesser ça, tout de suite ! »

Adolescent (à petite voix) « Mais… Vous me faites mal ! OK ok, d’accord. Mais c’est votre amie qui- AIE ! »

« Tu regardes ailleurs. Je vais te relâcher. Je vais me relever. Je te donne moins d’une minute pour paraitre présentable et faire tes excuses. Compris ? »

Au dernier « compris », Alma serre plus violemment l’érection avant de totalement la relâcher, de se relever comme elle l’avait dit et de revenir vers Shayne. Elle parvient à sourire un peu vers sa Déesse mais la colère sous-jacente est telle de petits vaisseaux sanguins dans ses yeux.

[Jeannie]

Jeannie incarne:


Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

Elle n’a tué personne, c’est déjà bien… Et une blessure d’ego est mieux qu’une blessure tout court. Vous savez, de nature physique. Oh bon d’accord, Alma n’a pas été exactement délicate, j’en convient, et certainement que certains pourraient critiquer sa façon de faire et ce qui va avec mais… Pour ma part, je n’ai pas vraiment de problème avec l’exécution. Le message est parfaitement clair, il ne fait aucun doute qu’il a passé et je doute qu’à l’avenir il va porter pareils shorts s’il compte reluquer les jolies femmes. Je ne peux pas exactement dire jeune, dans mon cas. J’ai plusieurs millénaires d’existence. Mais bon. C’est le principe fondamental qui compte. Et comme Alma s’est bien comportée, elle mérite une récompense. Je lui fais signe de me suivre et nous nous retrouvons dans une crémerie. Probablement un commerce plus… Familial. De père en fils.

Pas une de ces merdes commerciales où le client et l’employé sont de vulgaires numéros pour une corporation sans visage, non, non. J’explique à Alma que comme elle a bien agi, je lui paie une bonne crème glacée. Marishka aurait sans doute trouvé cela puéril, enfantin et probablement insultant. Mais Alma vit. Apprend. Évolue. La crème glacée n’est pas que de la crème glacée. C’est également une source de réconfort. C’est quelque chose qui remet de bonne humeur. C’est quelque chose qui rafraichit. Qui fait sourire. Oui, on voit plus les enfants en manger mais je vous dirais que je connais plus d’un adulte qui mange sa crème glacée Häagen-Dazs en secret. Plus encore, prendre le temps de partager un moment heureux avec quelqu’un est quelque chose de précieux. Et si on se concentre uniquement sur son ego… Car on va s’entendre, Alma en a tout un… On peut se poser la question.

Combien de mes élus ont mangé une crème glacée avec moi? Si elle a quelque chose que ses rivaux n’ont pas, cela ne veut-il pas dire qu’elle est plus spéciale que les autres? On peut l’interpréter de cette façon. Et puis du reste, si on le prend dans l’optique mère / fille, c’est aussi un bon moyen de cultiver positivement cette relation. Honnêtement, je dois avouer qu’Alma, parfois, me semble incompréhensible. Je veux dire… Elle a souffert de parents absents et elle a beaucoup de rancœur à leur égard. Là, elle a une mère adoptive et je trouve qu’elle ne capitalise absolument pas sur cette relation. Pourquoi se plaindre de quelque chose si quand vous l’avez vous ne faites rien avec? Telle est la question. Mais bon. Cela viendra peut-être dans la conversation. Car si vous pensez que nous sommes là pour regarder le décor, vous avez tort. Alma va parler. Me parler, pour être exact.

Oh elle peut ne pas aimer parler. Mais c’est moi la déesse. Et si j’ai envie qu’on discute, on va discuter. À moins bien sûr qu’elle veuille contester mon autorité, auquel cas, je peux vous assurer que cela ne va pas bien finir. Je tolère mal qu’on défie mon autorité, en fait. Mégalomanie, narcissisme, appelez ça comme vous voudrez mais je m’attends à ce que mes subordonnés fassent ce que je dis. Ce n’est pas une démocratie, c’est une théocratie et c’est moi la déesse. Quiconque veut me défier pour le titre peut le faire… Mais je peux vous assurer que ça ne se finit jamais bien pour l’imbécile qui me défie. Et puis en plus, elle devrait autre contente. Beaucoup de belles plantes heureuses et en santé et beaucoup de lumière naturelle. Le propriétaire doit s’y connaitre un minimum en plantes car c’est plutôt rare que dans le vert, avec la présence de l’être humain, la nature soit contente…

[Marishka Auschwitz]

L’érection en short fait déjà partie du passé. Cette situation ne s’est pas autant éternisé que celle avec le vieux à la moustache blanche. Non ! Alma doit se concentrer. Elle doit retenir les noms mais… c’était quoi déjà ? Richard ? Robert ? C’était bien Richard. Richard fils de quelque chose… Hum. Richard Peterson ! Voilà ! Bon. Quoi maintenant ? Oui, Alma était contente de se dire que la situation avec le gamin en skateboard était terminée. Satisfaite de se retrouver à l’intérieur d’une petite boutique silencieuse et bien peuplée d’habitants du Vert.

Alma se sent bien. Elle ose même sourire, assise devant Shayne. Leurs deux crèmes glacées entre elles deux.

Ses doigts glissent sur la table de bois. Une fabrication artisanale, locale à n’en pas douter. A travers cette reconversion du bois, Alma entend le Vert chanter dans la petite boutique. Elle se perd dans ce concert que la Déesse ne peut pas entendre.

Puis elle s’éveille. Elle n’est pas toute seule. Elle est avec Shayne. Dans un endroit public. Ce qui signifie qu’elle doit respecter quelques règles de « civilisation ». Le plus élémentaire étant de ne pas laisser un silence étrange quand deux personnes sont assises à une même table. Donc il faut parler. Lancer une conversation. Mais quoi ? Alma a lu que les sujets bateaux comme le temps qu’il fait au-dehors est une parfaite amorce. Elle trouve ça débile. C’est tellement évident de dire qu’il y a un soleil ou des nuages ou de pluie. Bien qu’il fasse un soleil, là n’est pas la question. Ce serait comme souligner qu’elle est assise. Ou que la crème glacée est froide. Ce genre de débilité.

« Merci pour la crème glacée. »

Des remerciements. C’est aussi une introduction aussi bonne qu’une autre.

« J’aime beaucoup cet endroit. Il est petit sans être étouffant. Il y a de belles plantes en bonne santé. Et les employés ne viennent pas nous harceler. Oui, c’est un endroit où je pourrais revenir. Peut-être même toute seule. »

*Je viens de beaucoup parler, là, non ? Hum, qu’est-ce que je viens de dire ? Ok. Probablement pas assez pour lancer une conversation. Il faudrait que je lui pose une question. *

Le temps de trouver, la petite cuillère plonge dans la crème glacée. La sensation de douceur. La vision de la matière qui coule lentement. Tout ça pour profiter du moment simple et trouver de quoi parler avec Shayne.

« Ca se passe bien les affaires de Déesse ? »

Elle fronce les sourcils. Maintenant qu’elle vient d’entendre les mots à voix intelligible, elle doute. Alors Alma se justifie.

« J’ai lu quelque part qu’il était commun pour les êtres humains de parler de leur travail. C’est pour ça que je demandais ça. Mais tu n’es pas obligée d’y répondre. »

[Jeannie]

Jeannie incarne:


Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

Je suis contente d’avoir trouvé un endroit qui donne envie à Alma d’y revenir. Le plus gros problème avec elle, c’est le volet social. On ne va pas se mentir, comme elle n’a jamais vraiment eu l’occasion d’avoir une vie un tant soit peu agréable, il y a certains réflexes qu’elle n’a pas développé. En soi, ce n’est pas un mal. L’être humain est fait pour apprendre, après tout. Mais si on ne cultive pas cet aspect, elle sera moins utile à mes plans. Sans même faire d’efforts particuliers, elle a un petit nombre de fidèles autour d’elle. Bon, pas au même niveau que les miens, je doute que quiconque donnerait sa vie pour elle mais c’est une petite base modeste intéressante. En développant davantage les aptitudes sociales d’Alma, en l’aidant à se mettre davantage en valeur, elle pourrait faire encore plus. Elle veut devenir ma super élue, non? Ce serait un bon moyen d’y arriver.

Naturellement, pour le moment, ce n’est pas le sujet de la conversation. Elle me dit merci pour la crème glacée, je lui souris en lui disant que ça fait plaisir et pour une rare fois dans ma vie, je dis ce que je pense et non pas ce qui sert mes intérêts. C’est une… Sensation étrange, ce n’est rien de le dire. Manipuler est devenu une seconde nature chez moi pour faire avancer mes plans. Là, ça m’a vraiment fait plaisir de lui offrir de la crème glacée. Alma lance ensuite la conversation… Maladroitement… Et sens le besoin de se justifier. Je prends sa main qui ne tient pas sa cuillère dans ma main et je caresse le dos de cette dernière avec mon pouce en la rassurant sur deux choses : 1. La conversation n’est jamais obligatoire. Le silence aussi a ses vertus. 2. Elle n’a pas besoin de se justifier si la situation n’y oblige pas. Mais bon. Elle a posé une question donc… je vais y répondre.

« Les choses vont plutôt bien en ce moment, je dirais. J’ai plusieurs plans qui ont bien avancé. Je me suis amusée un peu, j’ai été faire un tour du côté de l’Europe. La fin de la guerre froide fait qu’on peut obtenir, si on sait où chercher, toutes sortes de choses intéressantes et capables de faire beaucoup de dégâts. Oui, c’est du matériel qui a de l’âge… Mais une épée, exemple, tue aussi bien maintenant qu’au Moyen Âge.

Évidemment, tant qu’à être dans les environs, j’ai décidé de faire un peu de tourisme. J’ai pris un malin plaisir à exterminer un groupe néo nazi en Allemagne qui a eu l’audace de se mettre en travers de mon chemin. Les autorités locales cherchent encore à comprendre comment ces imbéciles sont passés d’être humain à forme humanoïde entièrement vitrifiée. Toutes ces bouteilles de bière vide auront servi à quelque chose, ultimement…

Quoi d’autres… J’ai éliminé quelques cultes rivaux. Ça fait toujours du bien de se dégourdir un peut les jambes. Oh c’est clair qu’on est loin des guerres de religion de jadis mais… J’ai toujours trouvé hilarant de mener l’assaut en solo, de voir ces hérétiques se barricader au cœur de leur temple, prier comme si leur vie en dépendait et se retrouver sans le moindre support de la part de leur faux dieu. Cette lueur de désespoir dans le regard…

Et bien sûr, un tas d’autres opérations plus petites et affaires diverses qu’il serait trop long de raconter ici de toute façon. Et toi? Comment va l’apprentissage? Est-ce que graduellement tu arrives à mieux t’adapter à ta nouvelle réalité? C’est sûr qu’entre vivre et survivre… Avoir un toit au-dessus de sa tête, trois repas par jour, équilibrés, une garde-robe bien remplie, de l’électricité, Internet et de l’eau chaude… Ça doit te changer pas mal. »

[Marishka Auschwitz]

« C’est vraiment une vie bien remplie que tu as pendant que moi je reste chez moi. »

Alma manque parler de cette envie de voyager qu’elle avait évoqué dans la réalité virtuelle. Mais c’est un sujet tabou que les deux femmes évitent. Bon, ça se voit qu’Alma s’est coupée la parole à elle-même, mais ce n’est pas la première et ce ne sera pas la dernière qu’elle est maladroite avec les mots. Alors ça va passer.

« Mais je ne regrette pas d’avoir mon chez-moi. En fait, je me retrouve même à prendre du plaisir à être casanière. Pas parce que les autres êtres humains me fatiguent mais parce que… comment dire ? C’est chaleureux ? J’ai lu quelque part que c’est parce que ce n’est pas une maison mais un foyer maintenant. Je ne sais pas si c’est très clair ce que j’essaie de dire ? »

La végétation dans le hangar d’Alma a progressé d’un niveau. Certains murs sont entièrement recouverts de plantes ou de fleurs. Dans la chambre, les murs sont colorés d’une petite centaine de fleurs d’espèces différentes. Le parfum y est puissant. Tant que sa peau en a pris la marque. D’ailleurs, Alma a déjà été approché pour sa fragrance. Un gros lourd qui a aujourd’hui la mâchoire en reconstruction. Mais il y a aussi eu cette femme qui a essayé d’en savoir plus. Elle s’est dite créatrice pour une très grosse société. Alma n’a pas voulu en savoir plus mais elle possède toujours le carton avec les coordonnées de la femme dessus.

« J’essaie même de regarder des séries ou des films. Mais j’ai du mal à regarder jusqu’au bout. Ou alors j’ai besoin de changer. Je ne sais pas. J’ai du mal à rester derrière un écran longtemps. Pourtant, il y a des choses que j’aime bien. Il y a une série dans une prison par exemple sauf que les gens a l’intérieur semblent vivre plus de vies, plus d’histoires que moi et la mienne. Il y a aussi cette série sur deux femmes lesbiennes qui affrontent des problèmes nuls, administratifs ou qui pourraient se régler en transformant le connard en pot de fleurs. Je ne sais pas. Il y a quelque chose que j’aime bien. J’ai cru comprendre que c’est comme une citation célèbre de ceux qui lisent des romans. Ça dit quelque chose comme ça. Ceux qui ne lisent pas vivent une seule vie. Ceux qui lisent vivent cent vies en une vie. »

Un jeune employé en tablier blanc s’approche de la table d’Alma. Sa gorge fait un bruit peu fort. Il cherche à attirer l’attention. Il a attendu patiemment qu’Alma termine son petit monologue pour intervenir.

Employé : « Bonjour. Je suis désolé de vous imposer ma présence. Comment dire ? Je sais qui vous êtes. Je sais le surnom qu’on vous donne. Et, hum, ça va bientôt être l’anniversaire de ma grande sœur. Elle passe beaucoup de temps dans le jardin de sa maison où elle vit avec son homme et sa fille. Et, je me demandais si, par hasard, si vous aviez le temps, parce que je ne veux rien vous imposer, si vous pourriez passer un jour chez elle ? Pour, vous savez,

(il agite ses doigts dans les airs)

faire votre magie verte. Je vais donc vous laisser. Mangez votre crème glacée pendant qu’elle est encore à température idéale.

(il dépose un petit carton sur la table)

C’est pour m’excuser de vous avoir dérangé. Peu importe que vous aidiez ma grande sœur ou pas. C’est un bon pour une crème glacée offert. »

L’employé salue en abaissant son dos et en souriant. Puis il retourne derrière le comptoir s’occuper des tâches qui… dont Alma se fiche de leur nature précise, en fait.

[Jeannie]

Jeannie incarne:


Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

« C’est très clair, ne t’en fais pas. Et comme je te comprends…Avoir son chez soi… C’est avoir son propre palais, son propre château. Mais Alma, ton château ne doit jamais devenir une forteresse. Ton lieu de vie est un lieu qui doit toujours symboliser pour toi le réconfort et la sécurité. Un petit nid douillet si tu préfères. Tu dois tout faire pour garder les problèmes loin de chez toi. C’est crucial…

Je suis contente aussi que tu prennes goût aux médias modernes. Si jamais tu as besoin de livres, de films ou même que tu veux essayer les jeux vidéo, fais le moi savoir. Si cela peut aider à ton acclimatation à une vie plus normale, libre de la recherche constante de survivre dans un monde hostile, ça va me faire plaisir. Je veux t’offrir ce qu’on ne m’a jamais donné. Peut-être que tu finiras mieux que moi, qui sait… Ce n’est pas impossible. »

Je n’élabore pas avantage car un employé vient parler à Alma. Elle commence à avoir une certaine notoriété, c’est bien. Les gens commencent à faire appel à son talent particulier. Tant qu’ils n’abusent pas, je ne vois pas de problème. Et c’est une distinction importante que je compte enseigner à Alma. Pas parce que j’ai peur qu’elle se fasse manipuler, non. Plutôt parce que comme elle est encore « fragile », socialement, je ne voudrais pas qu’elle passe à côté d’opportunités qui vont l’aider à obtenir encore plus de fidèles sur la durée. Il y a deux théories à avoir des subordonnés avec leur propre culte. La première est que c’est dangereux, qu’ils pourraient chercher, éventuellement, à me remplacer. C’est vrai, c’est une possibilité et un risque à prendre. La seconde est qu’en ayant leur propre fidèles, ils puissent les influencer à servir les intérêts de leur déesse.

Donc moi. Vénérer Alma pour commencer et vénérer qui Alma vénère par la suite. Pour le moment, toutefois, je n’interviens pas. À Alma de gérer la situation. Ce qu’elle veut faire, si elle accepte la requête qu’on lui soumet. Oh je suis définitivement curieuse de voir comment elle va réagir, c’est bien certain. Se faire approcher en public ne doit pas être une expérience très commune pour elle et je peux parfaitement comprendre que cela pourrait la mettre sur la défensive. De vieux réflexes, ce genre de chose. Ça et le fait, aussi, qu’elle pourrait considérer comme bien en dessous d’elle d’utiliser ses pouvoirs pour quelque chose d’aussi trivial. Donc… J’observe. Et elle sait que j’observe. Je mange ma crème glacée, tranquillement, posément mais elle sent mon regard sur elle bien qu’en apparence, rien n’indique que je la regarde attentivement. Mais elle sait, je le redis. Elle sait…

Les interactions sociales sont cruciales pour le recrutement de fidèles. Chacun a sa propre stratégie. La mienne et de chercher activement ceux qui sont au plus bas. Ceux qui n’ont plus rien. Ceux pour qui la conclusion de leur brève existence approche. Ils forment la base de mon culte. Des fanatiques à qui on a donné une seconde chance et qui se battront jusqu’à la mort pour ma gloire. Vous seriez étonnés de la dévotion qu’un aveugle peut avoir quand vous lui donnez la possibilité de voir le monde comme tout le monde. Ou que vous permettez à un vétéran de l’armée de marcher à nouveau. Ou que vous guérissez le cancer de quelqu’un. Je suis matériakinésiste. Réparer l’être humain est ridiculement facile pour moi. Et j’en profite allègrement pour renforcer quotidiennement mon culte. La misère humaine est le terreau le plus fertile qui soit pour faire les meilleurs fanatiques…

[Marishka Auschwitz]

« Mais c’est impossible de devenir mieux que vous ! »

*Et pourtant, pourtant j’en meurs d’envie !! *

Alma n’a pas mis longtemps à répondre à Shayne. La Déesse qui se sous-estime. La Déesse qui montre son côté fragile. « Humain »… Ca ne peut pas être ! Elle ne doit pas dire de pareilles choses à Alma. C’est déstabilisant. Ca lui met le cul entre deux chaises comme le dit une expression. Ca lui fait faire un grand écart entre le respect qu’elle a pour elle et l’ambition dévorante de se hisser au-dessus de tous.

Puis l’employé arrive et stoppe la conversation.

Lui et se demande concernant sa sœur et son anniversaire. Alma ne connaît même pas cette femme. En fait, elle ne connait même pas cet homme. Et il faudrait qu’elle fasse un cadeau à ses inconnus ? Qu’elle prenne de son temps à elle pour faire des choses qui ne l’attire pas ? Alma regarde l’employé repartir vers ses tâches d’être humain de bas rang dans la pyramide de la société. Et… Alma continue de regarder l’employé : parce qu’elle sent qu’elle se fait observer/juger par Shayne.

*Qu’est-ce que je fais de ce ça, moi ? Je dois le faire ce cadeau ou pas ? J’en sais foutre rien… *

Sa main récupère le petit morceau de carton. Un simple morceau de papier coloré qui offre le droit à une crème glacée offerte. Ca ressemble à de l’argent. Ces morceaux de papier avec des numéros qui représentent un système de richesse. Mais bref, ce n’est pas le moment de remettre en question un des aspects de la société.

Alma se lève avec la carte cadeau en main. Elle ressent toujours le poids du regard de Shayne sur elle.

*Qu’est-ce que je fais maintenant que je suis debout ? *

Mais Alma a compris. Elle est debout parce qu’elle va aller voir cet employé et lui proposer sa magie pour faire un cadeau à la sœur. Alma aimerait soupirer mais ça ne se fait pas en public.

Alors elle y va. Elle se retrouve devant l’employé qui parait autant gêner qu’elle. Alma voudrait utiliser le morceau de carton dans sa main comme excuse mais ça serait débile. Sa coupe est encore pleine. Tout comme celle de Shayne.

Employé : « Vous, vous avez besoin de quelque chose, madame ? »

C’est lui qui fait le premier pas. Mais Alma ne doit pas faire durer le silence. Il faut qu’elle réponde. Quelque chose. Tout de suite. Maintenant, même !

« C’est

(raclement de gorge)

c’est d’accord. »

Employé : « Ah oui ? Vraiment ! Ah ah, génial ! Alors dites-moi, quand est-ce que ça vous arrangerait de passer chez ma sœur ? Ca pourr… »

« Tout de suite. Je veux dire, on pourrait y aller maintenant si c’est OK ? »

Employé : « Je, ah non, désolé. Là je travaille. Et, hum, je ne peux pas partir tout de suite. Mais si vous attendez une heure, oui dans un peu plus d’une heure j’aurai fini. Donc si ça vous va… ? »

« C’est d’accord. Je finis de manger la crème glacée. Tu finis de travailler. Puis on s’en va chez ta sœur. »

L’employé sourit à s’en faire péter les muscles tellement il est heureux. Alma lui a déjà tourné le dos et est retournée s’asseoir en face de Shayne.

[Jeannie]

Jeannie incarne:


Shayne Hannigan, Aussi connue sous le nom de Miss Fortune ou Sir Prize.

Alma fait ses choix. Alma apprend. Et je suis fière d’elle. Faire des choix rationnels veut dire ne plus juste agir à l’instinct. Ne plus agir uniquement à l’instinct veut dire profiter de la vie. Profiter de la vie veut dire qu’elle a appris sa leçon et qu’elle accepte pleinement sa nouvelle réalité. Est-ce que tous ses choix seront bons, non. Elle reste humaine, faillible, mortelle. Mais ce sont ses choix et les choix de personne d’autre. Et en soi, c’est quelque chose dont elle peut être très fière. Fière de faire des erreurs? Oui. En un sens, cela fait partie de l’apprentissage. Si vous êtes capables de déterminer ce que vous avez fait de mal, vous pouvez éviter de recommencer. Vous pouvez grandir grâce à cela. Et évoluer, n’est-ce pas là le but ultime? Devenir mieux que ce qu’on était avant? Je dirais que oui, si on me pose la question. Et même si on ne me la pose pas, en fait.

Ceci étant dit, je n’ai aucune intention de l’accompagner chez la sœur de l’autre. C’est une autre leçon. Action. Réaction. Faire quelque chose de bien n’est pas une mauvaise chose, non. Mais elle a mal considéré les choses devant elle : si je suis avec elle, c’est pour passer du temps avec elle, parler de ses progrès. Je décide de ce que j’ai envie de faire. Elle a bien agi, je ne la punis pas. Mais je ne vais pas l’accompagner. Elle aura donc fait le choix de plaire à un de ses « fidèles » plutôt que de continuer à passer du temps avec sa déesse. Et non. Je ne vais pas la punir pour cela. Je vais juste aller faire autre chose. Et si elle a envie de parler après, ce sera à elle de prendre contact avec moi. Ça aussi c’est une leçon. Elle veut être indépendante et tout donc est-ce que son égo va lui permettre de passer un coup de fil où elle doit demander quelque chose? Je ne sais pas. Mais je suis curieuse.

Et non, je n’ai pas dit à Alma que je n’allais pas l’accompagner. Nous continuons de manger nos coupes glacées et j’ai bien sûr assisté à l’échange qu’elle a eu avec L’employé et je la félicite pour sa prise d’initiative. Rien dans la discussion ne suggère un « changement de plan ». Mais en même temps, dans la vie, tout n’est pas non plus indiqué avec un panneau néon géant. Autrement, bien des erreurs auraient été évitées, c’est bien certain. C’est ça la vie. Une série de surprises. Le scénario n’est pas écrit d’avance. Ce serait encore plus chiant si c’était le cas. Mais je m’égare, je m’égare. Le fait demeure que dans l’absolu, elle a fait son choix, son choix aura une conséquence. Une heure plus tard, quand le serveur vient la chercher pour l’amener chez sa sœur, j’annonce à Alma que je ne l’accompagne pas là-bas et que je vais aller m’occuper d’autres choses. Eh oui.

Et il n’y aura pas de « dans ce cas je n’y vais pas ». Elle a dit qu’elle le ferait, elle va le faire et c’est tout. Et je ne lui laisse pas le temps de protester, même. Un portail apparait et j’entre dans ce dernier avant qu’elle puisse revenir sur sa décision. C’est pratique d’avoir des subordonnés talentueux qui peuvent rajouter au « dramatique » d’une situation. Et non, il n’y a rien à regretter. Certainement pas. Reste à savoir si elle va m’appeler ou non quand elle aura terminé. Je serais tentée de faire un pari avec ma télépathe mais ce ne serait pas très gentil. En attendant, j’ai de la paperasse à faire. Quoi, vous pensez que ça se gère tout seul, un culte? Absolument pas. Enfin. Pas si vous voulez rester en activité avec un minimum d’interférence des gouvernements. Toujours avoir une comptabilité en ordre. C’est le conseil que je vous donne. Personne ne veut avoir l’IRS au cul…