Quand l'impératrice s'inclina devant celui qui devait lui servir de lien pour se maintenir sur Terra, elle ne se doutait pas que son nouveau mentor serait Terezul Amnar, surnommé à la cour de Lumen, en coulisse, Terezul le Fourbe. Ce sorcier, proche des cercles du pouvoir, parfois agissant comme conseiller auprès de hauts seigneurs décisionnaires, s'était forgé un nom par ses capacités à toujours suivre le sens du vent, et sans glisser. Il était cependant reconnu que son Art était puissant et que ses conseils abondaient toujours dans le meilleur des mondes. Beaucoup ne lui faisaient pas confiance tandis que d'autres ne juraient que par sa perfidie. Habitué du palais royal, il nourrissait ses appétits insatiables de pouvoirs de rêves dans lesquels cette petite garce de reine incompétente, qu'il haïssait, se soumettait à ses désirs. Elena Ivory représentait tout ce que cet homme misogyne abhorrait pour des raisons que lui-même avait oublié tant son mépris le consumait. Les plans qu'il échafaudait pour nuire à la couronne s'émiettaient faute de soutien, aussi, quand les Olympiens ouvrirent les hostilités, il fut ravi de la guerre qui s'annonçait. Et plus encore, les conséquences négatives qui s'ensuivirent pour Lumen, quand tout fut terminé, furent une opportunité qu'il ne laissa pas passer. Bien sûr, plutôt qu'une domination olympienne, un conseil thaumaturgique présidé ... par lui-même, serait bien plus productif que les tentatives fragiles de la reine pour rétablir son autorité sur un peuple blessé.
Car le royaume ne se portait pas bien. Sa population avait souffert et malgré les efforts réels de la reine, la situation ne s'arrangeait pas. Les foyers de maladies augmentaient, la subsistance était rationnée, le commerce extérieur presque suspendu et la violence se répandait en brigandage dans les campagnes et en extorsions brutales dans les cités. Les conditions étaient donc parfaites pour un changement de régime! En secret, Terezul œuvrait à exciter les populations. Ses agents forçaient le mécontentement de ceux qui peinaient, d'autres négociaient avec les nations voisines les plus belliqueuses des parts dans les activités commerciales de Lumen une fois la reine jetée à bas de son trône.
Néanmoins, ce traitre manquait de soutien parmi ses pairs. Malheureusement, les plus grands mages du royaume vouaient fidélité à cette garce d'Elena. Et plus que quiconque, Adamante Mélisi, représentait une menace mortelle. Cette trainée collait aux basques de la reine comme son chien de garde, et ses pouvoirs dépassaient de loin ceux de Terezul.
Aussi , le triste sire opposa l'acier à la magie. Sa fortune lui permit de recruter un grand nombre de mercenaires. Les mages du palais seraient submergés par une horde en arme et périraient criblés de flèches ou de carreaux, éventrés par des épées ou percés par des lances. Le nombre vaincrait la valeur. Quand à la Garde Royale, et bien ... elle mourrait plutôt que de se rendre, et ce serait bien mieux comme ça.
C'est donc un véritable coup d'état que fomentait ce fourbe et il terminait de planifier les derniers détails quand il avait capté, par hasard, cette onde magique étrange qui venait d'il ne savait où. Le message était simple: une requête, un appel à l'aide lointain et si proche en même temps. La faiblesse et la fragilité de la connexion jouaient pour lui si bien que ses interlocuteurs acceptèrent ses conditions après une trop courte réflexion. Chapeauter un messager, très bien, il n'aurait qu'à le torturer un peu pour découvrir ce qu'il en était exactement. Lui, n'avait rien à perdre.
Sa surprise fut brève quand le héraut se présenta, émergeant de l'ombre d'une colonne. Une guerrière qui s'agenouillait devant lui pour une ... histoire ridicule de lien et de maintien sur Terra. Elena Ivory ferait de même bientôt.
Sans prendre de risque, il déploya toute sa puissance et apposa un sceau psychique de domination dans l'esprit de la femme. Elle grimaça de douleur et à la grande surprise du sorcier, elle se releva, dégainant sa lame. Vive, elle frappa de taille et le fil de l'épée s'arrêta à un millimètre du cou de l'homme, bloqué par le serment de loyauté qu'elle venait d'énoncer. Les yeux de la guerrière brillaient d'une rage meurtrière et des volutes noires s'élevaient de son corps tendu. Elle était mortellement dangereuse mais ... incapable de lui faire le moindre mal.
"Je vais t'apprendre les bonnes manières ... chienne!" avait-il lancé, rassuré et le sourire mauvais.
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La magie de l'ombre s'opposait par nature à la magie de tout autre plan. Les intrusions psychiques du sorcier n'atteignaient pas l'âme de Skuld. Le sceau la contraignait à l'obéissance certes, mais il ne pouvait obtenir aucune information la concernant. Lorsqu'il lui assignait une tâche, elle l'exécutait tant qu'il maintenait son contrôle sur elle. L'impératrice avait essayé plusieurs fois, et par des moyens détournés, d'assassiner ce tyran mais la magie de coercition de l'homme restait la plus forte.
Arundar avait eu raison. La messagère avait perdu en grande partie ses capacités magiques. Seuls lui restait quelques effets mineurs et la possibilité de se déplacer à la frontière des plans, côté ombre. Cela lui assurait une discrétion complète, elle disparaissait dans les ombres pour ressurgir par d'autres. C'était un atout considérable.
Terezul la laissait libre de circuler dans la cité. Peut être en avait-il assez de la voir parfois. Elle avait ordre de ne parler à personne, ni d'essayer de se faire comprendre de quiconque, et elle suivait les ordres. Avant cela, et pendant des mois, le sorcier l'avait battu, utilisée de manière innommable, formée à ses désirs. Elle avait résisté, résistait toujours dans la souffrance mais avait appris à ne pas contrarié ce mage dégénéré. Il l'avait utilisée comme espionne, profitant de ses compétences en discrétion si particulières. Il ne connaissait pas le plan des ombres mais devinait que Skuld, ou plutôt Ombre, était liée à quelque chose dans ce genre. Il aurait tout loisir de l'étudier une fois sur le trône, disait-il.
L'impératrice ne trouvait pas de moyen de s'évader de ce cauchemar. Libre, elle l'aurait éparpillé d'un regard mais ce maudit serment de loyauté la tenait. Dernièrement, il avait franchi une étape supplémentaire en lui ordonnant d'assassiner des cibles qu'elle sut être importantes: des seigneurs, des personnes liées au palais royal. Elle pleurait de ces meurtres mais ne pouvait les empêcher. Au moins, elle exécutait les sentences rapidement. Ses victimes ne se voyaient pas mourir.
Le sorcier se satisfaisait de sa conduite ... et l'insultait continuellement, se satisfaisant de l'humilier, croyait-il, si pertinemment. Ses activités s'intensifièrent un jour. Son étude fut régulièrement visitée par des individus peu recommandables tout comme par de riches opportunistes. Ombre s'était habituée au langage de Lumen et le maitrisait presque à présent. C'était une version simplifiée de sa langue natale, métissée par des dialectes qu'elle savait plus méridionaux. Quand elle parlait ... quand elle y était autorisée ... son accent ravissait Terezul qui la traitait alors de putain exotique.
Le coup d'état prenait forme et Ombre en connaissait les plans. Le sorcier lui réservait un rôle bien précis qu'elle connaissait déjà et qui la faisait trembler de désespoir, car la personne qu'elle devait capturer, et s'il le fallait, éliminer, mourrait de sa main, c'était inexorable.
Quand les machinations du Fourbe furent établies, prêtes, il lança l'ordre censé détruire la monarchie pathétique de Lumen. Rassemblées à l'aube de ce jour funeste, les compagnies de mercenaires déferlèrent sur le palais, ovationnées joyeusement par une foule compacte de mécontents, également prêts à franchir les grandes portes. La fortune de Terezul et de ses amis avait acheté le silence de bien des agents de renseignements royaux, tout comme des hommes du guet et de personnels du palais qui ouvriraient certains accès.
La Garde ne put contenir cet assaut soudain mais sans pertes, recula en bon ordre pour tenir les points stratégiques. Le palais était envahit, mais pas de manière dramatique. Les mercenaires se heurtait à des guerriers entrainés qui ne vacillaient pas et bon nombre d'assaillants furent taillés en pièces. Les officiers de la Garde géraient leurs priorités et tactiquement, ils ne commirent aucunes erreurs. Seulement, la traitrise est pernicieuse et tout braves qu'étaient les soldats de la reine, il ne pouvaient rien quand un domestique corrompu aiguillait les révoltés par des passages dérobés. La situation ne devint critique qu'en milieu de matinée. Tous, les purs comme les traitres, cherchaient la reine. "A mort la reine" hurlaient certains, "Protégez la reine!" braillaient d'autres. Entre les fracas des combats et le pillage des espaces conquis par les mercenaires, le palais royal de Lumen résonnait comme un capharnaüm gigantesque.
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Au cœur de cette furie, Skuld se déplaçait rapidement, suivant les couloirs d'ombre, frôlant le monde réel et cherchant sa proie. Les murs ne l'arrêtaient pas là où elle évoluait. La frontière des deux plans était obscure et elle se repérait grâce à son instinct, aiguisé par trois mille ans de cauchemars en ces lieux, et par la connaissance de la géographie magique de ce plan si spécial. Quand elle émergeait de nulle part, à la grande surprise de tous, c'était pour disparaitre aussitôt sous les regards médusés de spectateurs privilégiés. Elle arpentait le palais à sa manière, sachant la reine toute proche. Le sorcier l'avait pourvue d'un traceur magique qui lu indiquait la direction de la souveraine. Par là!
Désolée, honteuse, attristée de ce qu'elle s'apprêtait à commettre, Ombre fit glisser sa lame hors de son fourreau et accéléra le pas. Elle repéra le voile trouble qui la mènerait à Elena Ivory et silencieusement, demanda pardon à cette jeune femme qui ne méritait surement pas de mourir.