Elle était donc une femme hermaphrodite, ce qu'elle avait du mal à accepter. Akira avait grandi à Kyoto avec le sentiment d'être toujours différente. Ses parents n'avaient jamais trop su quoi faire d'elle, car, si elle était une femme, elle ressemblait aussi beaucoup à un homme. D'ailleurs, elle urinait debout, ce qui était un signe ! Akira avait grandi à Kyoto, mais, dans un pays aussi conformiste que le Japon, elle était une sorte de monstre local. Elle avait été victime d'ijime, du harcèlement, parce qu'elle était hermaphrodite. Même si elle avait tout fait pour cacher ça, elle avait fini par éprouver des sentiments envers une fille, mais, quand celle-ci avait senti sa pointe érectile, la nouvelle s'était répandue dans le lycée. Akira avait été la risée de tous, et avait réalisé la profonde différence entre les garçons et les filles : si les uns étaient bêtes et méchants, les secondes étaient méchantes et vicieuses. Akira avait surtout subi la colère des femmes voyant en elle une aberration. Le choix avait finalement été fait par l'académie de la localiser ailleurs. Ses parents avaient également accepté de déménager, car, même pour eux, cela devenait difficile à vivre.
Ils avaient donc rejoint Yoake. Akira ignorait pourquoi le rectorat avait choisi de la transférer au lycée Jinmu, mais cela ne changeait rien pour elle. Elle s'était promise de ne plus se rapprocher de qui que ce soit, et était de fait très solitaire, refusant toute approche, repoussant les gens, et dissimulant les scarifications qu'elle se faisait. Pourquoi être née ainsi ? Elle détestait son corps, elle détestait ses petits seins replets, elle détestait cette fausse sympathie qu'on lui témoignait, et cette libido infernale qui l'amenait à devoir se dissimuler. De fait, ses parents lui avaient acheté des pilules censés couper sa libido, car ils ne voulaient surtout pas devoir à nouveau déménager.
« Nous avions une vie accomplie à Tokyo, j'allais recevoir une promotion, et être directeur, si cela tu n'avais pas tout gâché, comme d'habitude ! »
Son père était un banquier qui avait failli devenir Directeur de son agence bancaire. Mais la direction lui avait dit qu'elle ne pouvait pas le mettre à sa place, car certains clients risquaient de ne pas comprendre, vu sa fille. On aurait pu croire qu'il aurait pris fait et cause pour la défense des hermaphrodites, mais c'était tout le contraire. Il s'était mis à boire, se désintéressant totalement des problèmes de puberté de sa fille, et espérant se refaire un nom ici, à Yoake. Akira, elle, estimait surtout qu'il avait été licencié parce qu'il avait été surpris en état d'ébriété, mais, quand elle le lui avait dit, son père l'avait giflé... Et ce n'était pas sa mère qui allait réagir, elle qui n'osait pas faire quoi que ce soit contre son père.
Akira essayait donc de ne pas se faire remarquer... Ce qui avait finalement amené leur professeur à la désigner avec une fille qui était tout l'inverse d'elle-même pour réaliser un exposé à deux en Histoire : Mei ! Le cas typique de fille qui avait pourri l'ancienne vie d'Akira, les « hypocrites ». L'exemple parfait de la fille-Barbie drôle, souriante, ingénue, qui avait plein d'amies, se disant ouverte et tolérante, et qui n'hésiteraient pas à se foutre d'elle dès qu'elle connaîtrait son secret !
Ce qui avait toutefois surpris Akira, c'était que Mei avait choisi Akira comme binôme. Habituellement elle était comme le petit gros en salle de sport quand on constituait une équipe, elle était choisie la dernière, « par défaut »... Alors, pourquoi elle ? Akira redoutait le pire, et craignait que Mei n'ait découvert son secret, et ne lui prépare l'une de ces moqueries cruelles et sadiques dont les adolescents avaient le secret. C'était donc avec une certaine angoisse qu'Akira rejoignait la bibliothèque du lycée, afin de retrouver Mei et de préparer son exposé. Le sujet était un exposé sur l'une des périodes historiques du Japon, la période Sengoku, mais Akira craignait surtout de savoir ce que Mei lui voulait...
Elle rejoignit la bibliothèque avec un peu de retard, mains enfoncées dans les poches, tête renfermée. Tout en elle aspirait les gens à s'éloigner, et c'était tout à fait ce qu'elle voulait... Alors, pourquoi est-ce que cette Mei lui tournait autour ?
*Ça pue, je n'aime pas ça...*
Elle ne demandait qu'une seule chose, qu'on lui foute la paix ! Était-ce si compliqué à comprendre ? Mais elle ne voulait pas prendre le risque d'avoir une mauvaise note, ou son père risquait encore de s'énerver contre elle... Donc, elle cherchait Mei du regard pour terminer ça au plus vite.