Sous la menace que la Fille de l'Eau représentait, Thérésias n'entreprit point de se relever. Par contre, il s'exprimait toujours aussi librement. Comme un sale gosse en rut ! De quoi faire pousser une veine sur une tempe de la chasseuse qui le tenait en respect.
- Avec toi, on aura tout entendu, grogna-t-elle.
Occupe-toi de tes fesses avant de t'intéresser à celles des autres, espèce de petit-... !?
Une piqûre ? Dans son cou ? Pas possible !
Actaïa, stupéfaite, y déplaça lentement sa main.
Ses doigt - déjà mous - butèrent contre la fléchette empoisonnée.
- Non, mais... c'est pas... vrai...
Ses yeux bleus roulèrent dans ses orbites. Elle parut tenter de résister à l'appel du sommeil...
Puis elle s'effondra sur place. Encore, oui ! Sans avoir l'énergie de s'énerver.
Actaïa ne vécut donc point son enlèvement, mené par Thérésias et Ulysse qui allèrent même jusqu'à faire un peu de route. Suffisamment pour ne pas avoir à souffrir de l'avalanche qui grondait, au loin. Les jeunes kidnappeurs la transportèrent devant le seuil d'une tanière. Un antre sombre et guère rassurante habitée par une... créature sylvestre.
Soit un ami de l'innocent Thérésias ! Que ce dernier considérait aussi comme son protecteur. Voire son paternel de substitution - bien plus aimable avec lui que son diable de papy.
- Hé, ho ! C'est moi, Thérésias. Mon frère et moi, on a pensé à toi et du coup, on t'a ramené quelqu'un pour t'occuper~
Depuis l'intérieur de la cavité, une voix caverneuse ne tarda pas à se faire entendre :
- Ton frère et toi ?
Deux longues cornes rocailleuses et incurvées vers le ciel affleurèrent hors de la brèche. Des petits yeux jaunes fixaient le duo enfantin. Ils supplantaient un museau énorme qui reniflait bruyamment l'air. Le tout était planté sur une tête de bœuf ; le reste de son corps massif, lui, demeurait presque invisible dans l'obscurité poussiéreuse.
- Depuis quand as-tu un frère, petit faune ?
- Depuis toujours ! Mais j'l'ai perdu, et puis j'ai fini par le retrouver je ne sais pas trop comment.
Torse bombé, l'air fier de lui, il souriait bien largement.
- Et avec lui, on a mis la main sur cette fille de la ferme ! (Il fit la moue.)
Moi j'voulais toucher les fesses de l'autre fille et la faire chanter. Mais Ulysse m'a convaincu de me comporter en faune et de nous partager sa méchante copine. (Il baissa les yeux sur Actaïa.)
Tu crois que j'peux récupérer sa culotte, Bramus ?
Le minotaure fronça les naseaux.
- C'est une humaine...
Thérésias hocha la tête.
- Une humaine fécondable, qui plus est.
Un sourcil haussé, Thérésias pencha légèrement la tête de côté.
- Elle m'a tout l'air d'être en état de servir... (Ses yeux jaunes revinrent se poser sur le jeune satyre.)
Ôte-lui sa culotte. Elle n'en aura plus besoin, de toute façon.
Le visage du faune parut s'éclairer.
- Oui ! Avec plaisir !
Ulysse et lui l'avaient allongée sur le dos. Thérésias passa sa petite tête cornue sous les pans de sa robe bleue. Ses doigts de musicien se frayèrent un chemin jusqu'aux bretelles de sa culotte blanche sur lesquels il commença à tirer...
C'est à ce moment là qu'Actaïa rouvrit les yeux et referma ses jambes brunes autour du cou du satyre.
- Plus personne ne bouge ! hurla-t-elle, en générant un serpent d'eau avec ses mains.
Si l'un de vous tente quoi que ce soit, je brise la nuque de ce sale petit pervers ! Vous m'avez bien comprise ?!
La pauvre Thérésias était bien en peine sous sa robe : lui qui pensait y trouver le paradis, voilà qu'il récoltait un aperçu de l'enfer !
Le regard fâché de la Fille de l'Eau jonglait entre l'énorme trogne du minotaure et celle de la version sombre de son prisonnier.
- "Humaine fécondable", "partager la méchante copine", "récupérer sa culotte"... mais vous ne pensez qu'à ça, ma parole !
- Ce n'est pas tout, plaida Bramus.
J'avais besoin d'une petite femme pour faire le ménage dans ma tanière et, accessoirement, me brosser les poils du dos.
- Et ben tu peux toujours galoper, mon gros, parce qu'il n'est PAS QUESTION que je touche au moindre de tes poils puants !
Le minotaure fit sortir une grosse paluche de sa tanière. Immédiatement, il eut droit à une claque retentissante sur le dos de cette même main.
- J'ai dit : on ne bouge plus.
Elle serra un peu plus les cuisses, arrachant un gargouillis désagréable à son captif.
- Ce n'était pas assez clair, peut-être ?
Elle relâcha un peu la pression de son étau, sans quoi Thérésias n'aurait plus pu respirer du tout.
- Dernier avertissement, mon grand...
Bramus oscilla docilement la tête, luttant contre cette envie qu'il avait de gratter sa main irritée.
- Maintenant, je vais entreprendre de me lever doucement. Aucun de vous deux ne devra esquisser le moindre petit geste, sans quoi même tarif : votre petit faune chéri mourra dans la seconde.
Un scénario qui l'emmerderait profondément. Thérésias restait un enfant, après tout. Immature à souhait, certes, mais un sale garnement quand même ! En outre, la chasseuse envisageait de s'en servir comme otage. Ou comme bouclier contre la sarbacane de son tordu de "frérot".
Comme elle en avait ras la culotte de cette arme de fourbe !
Yggrisa n'eut finalement pas à se mêler du combat des pingouins et de leur chef mécanique. L'ensemble s'arrangeait comme il pouvait pour museler le monstre en forme de coffret cadeau. Les victimes englouties seraient nombreuses, mais leur destin leur appartenait après tout. La pyro-dryade n'allait pas - et ne devait surtout pas - pleurer ces quelques êtres perdus.
- Notre combat se trouve ailleurs.
La maîtresse des bois projeta son regard au loin. Là où la puissante mercenaire avait entamé une percée ; les satyres s'évertuaient à lui barrer le chemin, ne laissant derrière eux que leurs propres dépouilles brisées.
Dans sa fougue martiale, Mrs Claus cherchait à s'en prendre directement à la matière grise du corps krampuzard. Elle n'était pas seule, par ailleurs. Les répliques du lutin de noël l'aidaient de par leur nombre. Ils se sacrifiaient au nom de leur commandante, emportant parfois un ennemi ou deux dans la mort...
C'est sans émotion aucune que la pyro-dryade les dépassa tous.
Ce n'est toujours pas notre combat.
Pourtant, bien avancée dans les lignes ennemies, elle dut quand même faire parler son fouet ardent. Plusieurs satyres, à la fois flagellés et brûlés sur place, moururent dans des circonstances atroces. La pyro-dryade n'avait pas de temps à perdre ; son pouvoir n'était pas éternel: il avait ses limites. Et plus la nymphe hybride se rapprochait de celles-ci, moins acérée se faisait son impressionnante magie.
Un satyre, placé en embuscade, se jeta en travers de son bouclier ! Ce sot mourut empalé dessus, un énorme pieu ayant traversé sa cage thoracique pour réapparaitre derrière, tout ensanglanté.
Après ça, Yggrisa fut prompte à rejoindre la véritable cheffe des opérations.
Parvenue à sa hauteur, sans tourner la tête vers la militaire, la pyro-dryade leva le manche de son fouet à l'adresse d'un groupe de krampuzards qui leur faisait face. La fusionnée renifla de mépris.
- Je la sens, dit-elle,
son odeur méphitique.
L'Ancien. L'unique. Le général du camp adverse !
Un parfum de ténèbres, proprement étouffant, se dégageait du cercle satyre. Les défenseurs du vieux krampuzard paraissaient solides. Sans doute bénéficiaient-ils de son pouvoir corrompu. Celui-là même qui pendait autour de son cou, depuis cette amulette mystique, et dont la lumière lugubre éclairait l'intérieur de ses mains fripées.
- Notre combat n'est autre que celui-ci, soupira Yggrisa, ses prunelles d'émeraude virant au rouge incandescent.
Comme possédés, les satyres se mirent à beugler à l'unisson. Puis ils se ruèrent à l'assaut de ce duo fort peu orthodoxe !
...A leur grand dam ?