La machine tient bon. Son métal est des plus solide, même si mes projectiles ont au moins eu le mérite de la cabosser comme le capot d'un voiture frappée par la grêle. Je ne me pose même pas la question de savoir combien cela va coûter auprès de son assureur. Il y a quelque chose d'autre qui attire mon attention alors que je suis toujours suspendu à une paroi obscure, avec une jambe en moins. Un sérieux handicap. Sans oublier ce bras que j'ai de logé dans la pierre ! Tout cela me rend vulnérable, faisant de moi la moitié d'un homme et d'un cauchemar à affronter.
Présenté ainsi, c'est vraiment laid comme portrait, pas vrai ?
- ...Où est-elle passée ?
La faucheuse a quitté mon champ de vision. C'est mauvais signe, ça !
J'entends quelque chose s'ouvrir dans mon dos. Une douleur atroce me transperce l'épaule. J'étouffe un cri hautement compréhensible.
L'acier en croissant a creusé mes chairs, avec à l'autre bout du manche le poids de celle qui s'y cramponne fermement.
- Merde !! Nom de... !!!
La lame glisse dans mon dos, ouvrant un sillon sanglant au-delà de laquelle elle finit par se déloger. La faucheuse tombe avec. Elle se rétablit souplement, dans un silence de mort, alors que moi je lutte comme un porc qui vient de se faire découper une belle tranche de viande.
Bordel, qu'est-ce que ça pique !
Et la blessure qui, à cause des propriétés maladives de l'arme, met un temps fou à se refermer...
Je suis déconcentré dans un moment qui ne pardonne pas. Pourtant, ça me fait sourire. Un rictus marqué par un filet de sang qui me coule de la commissure des lèvres.
Ça y est ! Dans le feu de l'action et de la douleur, j'ai pu remonter le lien.
Je sais maintenant que le marionnettiste se trouve...
Une ombre s'élève devant moi.
- Ah. Je t'avais oublié, frérot.
Un bras mécanique me percute de plein fouet. J'en ai le souffle coupé ! Le choc arrache mon bras à la gangue de béton. Le vent siffle à mes oreilles. Je bascule vers le sol à toute vitesse, emporté par le poids écrasant de cette machine infernale. L'impact est encore plus rude que le premier. Mon corps et la griffe qui m'emprisonne les bras le long du corps creusent un cratère dans le sol. Je crache du sang en quantité.
Je crois qu'il vient de me briser les côtes. Toutes ? Je l'ignore ! Mais je pense qu'une bonne partie s'est logée dans mes poumons.
Un humain normal serait sans doute mort de chez mort avant même d'avoir touché terre...
- Kof !... T'es sacrément balèze, pour un bâtard de... de laquais...
Je suis cloué au sol. Un mouvement dans mon champ de vision périphérique attire mon attention. C'est la froide faucheuse qui s'approche, avec sa démarche féline, élégante,... royale ? On jurerait voir une impératrice des temps anciens ! C'est une belle vision, je l'admets. Alors si ce doit être ma dernière, j'estime tout de même être un sacré petit veinard, hein ! Je la vois qui s'arrête à côté de nous. Elle n'a pas lâché sa faux, bien au contraire. Oh ! Une exécution par décapitation ? Un grand classique. Elle va vraiment finir par me faire perdre la tête, cette bonne femme.
J'observe sa robe que j'ai trouée avec mon attaque de tout à l'heure.
- Navré de l'avoir foutue en l'air.
C'est tout ce que je trouve à dire. Des derniers mots qui manquent d'un certain panache, mais que voulez-vous ?
On ne peut pas toujours être inspiré.
Un spasme m'agite. Le sang me sort de la bouche et du nez.
Je suis dans la mouise mais...
Et ben voilà ! Ce n'était pas si difficile, finalement. Bolganhon observait la scène d'un air ravi. Son assassin ne serait bientôt plus qu'un mauvais souvenir. L'instrument de sa mort était double, mais le Vermillon savourait grandement l'ironie de la situation : le Rebut des Enfers, immobilisé par une partie de son propre sang, et décapité par la représentante de la Mort ! Il avait envie d'applaudir. Il sourit sous son masque. Les affaires allaient pouvoir reprendre. Le lendemain, il enverrait les trois quarts de son organisation religieuse dans le manoir des Goto pour y faire le grand ménage. Garrozan Agdranath le remercierait pour cet accomplissement. Bolganhon retournerait en Enfer pour y mener une vie digne d'un pacha, et alors...
Un sifflement sur sa gauche. Bolganhon s'esquiva hâtivement, en reculant la tête. Le tentacule carmin, affûté comme une poignard, fila juste sous son nez alors qu'un second frappait dans la foulée, lui arrachant les doigts de la main droite. La montre-artefact explosa en mille morceaux.
- Qui ose... ?!
Ce n'était pas « qui » mais « quoi ».
La créature n'avait qu'un seul œil. Sous ce globe deux fois plus gros qu'un poing, une gueule de carnivore à faire peur, avec des dents acérées comme des dagues qui ressortaient à vif de son absence de lèvre supérieure. Une bête de cauchemar. Un monstre similaire à...
- Isssssssssssskh !!
Braënox Agdranath ! Son morceau de jambe avait muté en cette chose, l'avait pisté et voilà que...
L'artefact !
A ses pieds, détruit en jamais. Cela signifiait donc que les fils de la sinistre marionnette avaient eu aussi été tranchés !
Le visage du Vermillon se contracta. Il s'était tourné pour faire face au danger le plus immédiat.
Dans la pièce, la créature cauchemardesque avait pris possession de la seule issue qu'il lui restait.
- Une jambe dénaturée contre un démon pure souche comme moi ? C'est me sous-estimer !
Tout n'était pas encore joué. La machine infernale fonctionnait toujours à plein régime. Et le Rebut des Enfers, dans un état désastreux, pissait le sang. Mais Bolganhnon avait tendance à oublier une chose essentielle : c'est dans ces conditions que le Bâtard Cauchemardesque peut se montrer le plus dangereux.
La faux s'est stoppée net. Miss Mort a été libérée de ses chaînes. Je n'ai aucun mal à le deviner.
Un sourire se découpe sur mon visage. Le genre très large, qui me déchire les joues.
- Super, dis-je.
Maintenant, je peux me lâcher.
Mon corps se soulève dans un craquement sonore. Le bras de métal s'oppose à cette force, grinçant dans l'effort. Mais un composant finit par se briser au niveau de l'articulation du coude, donnant lieu à une gerbe d'étincelles. Propagée par ma silhouette que l'on croyait brisée, une lumière rouge avale cette averse minable. Cette clarté infernale frappe mon adversaire de plein fouet, le faisant tomber à la renverse. Tout de chair rouge et flamboyante, je me redresse dans une posture bestiale, au beau milieu de ce qui s'apparente à un brasier funéraire. Mon sang s'est littéralement embrasé. Mais ce n'est que le début du cauchemar.
- Deuxième round, j'annonce d'une voix sépulcrale.
Sois gentille et écarte toi un peu, princesse.
Elle a tout intérêt à s'exécuter.
Pourquoi cela ? Mais voyez plutôt !
Je referme mes doigts griffus sur cette jambe métallique, pliée comme celle d'un grand félin. Je la soulève du sol et me mets à tourner avec sur trois tours. Lorsque je la relâche, la machine s'envole, emportée par l'élan, avant de s'écraser lourdement contre un mur.
- Redresse-toi, faux-frère. On a pas mal de temps à rattraper, tous les deux.
Elle s'exécute. Sans doute pas pour me faire plaisir, non.
Sa tête entourée de câble nous fixe. La machine plie sur ses lourds appuis.
La faucheuse a changé de camp ; elle est contrainte de modifier sa façon de combattre.
Les deux appendices reliés à l'arrière de ses épaules se soulèvent. Des objets volants s'en détachent. Des drones ? Ils ne sont pas très grands mais clignotent dangereusement. Ça sent l'explosif à plein nez !
- On se sépare.
Je m'élance sur la droite. Une partie des « drones » m'imitent, la seconde moitié fonçant vers la faucheuse.