
Tout était perdu. Leur plan s’était effondré, réduit en miettes éparses. La promesse d’une grande avancée dans leurs vastes plans n’était plus que ruine. Tout ce qui comptait en ce moment même, c’était survivre.
“Un pas de plus et je te crible de balles.” cria la femme armée, pointant son fusil à dix mètres de Valac. Une robe de nonne en latex noir, un complexe tatouage représentant un crucifix sur une de ses cuisses, une forme athlétique et une arme bien trop uniforme et propre pour appartenir à l’arsenal d’un des warlords de ces terres désolées. Il conclut immédiatement qu’il s’agissait d’une des Saintes. Cela voulait dire une fanatique, avec un excellent entraînement et un équipement de dernier cri. Aucune surprise, ses ennemis avaient fait appel à l’élite.
“Pitié, mamzelle ! M’flinguez pas !” s’écria Valac, ses genoux s’écrasant contre le sable sulfureux du désert. La nonne était la seule chose qui faisait obstacle entre lui et l’escalier métallique qui menait au sommet d’une des fumerolles de souffre qui gangrenaient ce terrain.
La Sainte s’approcha à pas prudents, le museau de son arme toujours pointé vers la tête de Valac. "Identifie-toi”.
La seule raison pour laquelle il n’avait pas été abattu dès qu’elle l’avait repéré, c’est qu’il ne ressemblait pas aux autres cultistes qu’ils avaient neutralisé.
Cultistes. Oui, peut-être qu’aux yeux de leurs ennemis, ils n’étaient qu’une bande d’hérétiques, une nuisance qu’il valait mieux écraser d’une botte ferme. Voilà une tâche honteuse qui marquera l’histoire de la Goetia. Mais leur histoire avait déjà été effacée de toutes les archives infernales, alors à quoi bon se lamenter.
Pourtant, Valac ne pouvait pardonner à Buné la responsabilité de cette catastrophe. Leur cabale, réduite et dispersée après les événements qui ont vu l’école de la Goetia anéantie par les Archidémons et leurs alliés, avait porté son intérêt vers Rustworld, un des plans où une terre ravagée par des cataclysmes avait réduit sa population à un état de survie barbare. L’objectif était d’alimenter un nombre de machines (des ordinateurs corrompus et volés de Tekworld) grâce à une source d’énergie originale : les fumerolles de souffre géantes de cette zone aride de Rustworld avaient servi depuis des décennies de lieu d’exécution pour différents seigneurs de la guerre, jetant leurs prisonniers dans les cratères fumants et toxiques pour une mort horrible. Un catalyste parfait d’âmes torturées et d’esprits encore rongés par leur destin agonisant, fournissant une source d’énergie éthérique que les machines de la cabale pouvaient ingérer, leur permettant ainsi de mener des calculs sur des plans plus ésotériques. Un plan concocté par Buné, l’aîné des disciples de la Goetia.
Buné avait été élu comme chef de leur cabale par principe de séniorité, mais depuis le début de leur intrigue Valac avait exprimé ses doutes et ses objections. Le plan était risqué, se basant sur des critères bien trop hasardeux, particulièrement quand ils étaient traqués par un host d’anges qui avaient juré leur destruction après la profanation de la cathédrale-forteresse d’Armélia. Les esprits torturés ne s’étaient pas manifestés aussi fréquemment que calculé, et ils s’étaient trop attardés sur cette planète. Les chasseurs avaient fini par les retrouver, et à tendre un piège mortel.
Maintenant qu’il y pensait, il aurait dû se montrer plus ferme dans son objection, voir même tué Buné et prit sa place de leader. Un peu trop tard pour ça, sachant que Buné était mort et banni en Enfer, où leurs cousins infernaux devaient s’impatienter à le traîner dans le Tartare pour le torturer éternellement. Ne restait plus que Valac, et ses idéaux de leadership étaient éclipsés en ce moment par sa priorité de survie.
“On m’appelle Turbo” gémit Valac. Son ton était différent, un peu plus strident et criard, avec beaucoup de jeu de langue pour imiter à la perfection le vocabulaire local d’un des gangs de pilleurs qui fréquentait ces plaines arides. “Juste un chauffard, m’zelle, juré ! Boss nous a promis de la bouffe fraîche et de la coque si on l’aidait à transporter un tas de ferraille. Me zigouillez pas, suis qu’un pisse-essence !”Pour ajouter de l’effet à sa mascarade, il tapa du front contre le seul, une pratique commune des esclaves de la région pour apaiser leurs maîtres, en espérant que la jaquette de cuir couverte de tags saurait vendre ce jeu.
Valac était un des prodiges de l’école de Lilith, la Goetia. Et c’était une école où chaque élément était en soit un génie, mais le démon sans cornes était juste particulier. Une anomalie, avait décrit un des princes des Enfers. Un compliment, de la part de quelqu’un qui cherchait votre totale annihilation. Valac avait été entraîné à voir chaque échec comme une opportunité, un tremplin sur lequel rebondir. La destruction de leur cabale était l’opportunité pour lui de s’émanciper du leadership douteux de ses inférieurs et d’exprimer personnellement tout l’art que Dame Lilith lui avait inculqué. Celui qui s’avouait vaincu dans ce genre de situation était condamné. Même dans les scénarios les plus impossibles, son cerveau marchait toujours à plein régime. Analysant, cherchant des pistes, des avantages à saisir. Le démon exilé avait peint son corps avec de la poudre blanche, comme le faisait les serviteurs de certaines bandes errantes des déserts radioactifs. La jaquette, il l’avait récupérée d’un des cadavres qui avaient semé le champ de bataille qui rageait lors de l’embuscade.
“Tu es armé ?”
“Non ! Croix de fer, suis nu comme un ver !”
Ton et accent, ton et accent. Il n’avait pas menti, il était désarmé. Pas d’opportunité de s’emparer d’une quelconque arme quand on était ciblé de partout par des zélés inquisiteurs. La fuite avait été sa seule option. Fuir et atteindre le sommet d’une des fumerolles, où il avait laissé son plan de secours, sa porte de retraite.
L’ombre de la Sainte le couvrait de plus en plus à mesure qu’elle s’approchait. Le visage toujours étendu sur le sol, Valac continua à imiter un tremblement de corps terrifié.
Vas-y, approches encore un peu. À portée de bras, et nous serons égaux, même avec ton fusil.
“Soeur Magda ?”
L’hérétique se tendit au son de cette seconde voix. Il pencha légèrement la tête derrière-lui, toujours en position de faiblesse, pour deviner la source de cette seconde apparition. Une seconde Sainte, celle-là armée d’un katana dont la lame bénite était couverte d’une épaisse couche de sang.
Voilà qui compliquait un peu les choses ...