A quoi jouait-il, ce sinsitre abruti ? Essayait-il, depuis le seuil de son échappatoire, de me narguer en m'agitant ainsi sa maudite montre ? Pfff !! Je ne vais pas le laisser continuer à respirer bien longtemps, je le sens. Ça ne me dérange pas d'être sous-estimé - j'en conçois souvent un certain avantage. En revanche, que l'on cherche à me mener à la baguette, alors là...
Je finis par le voir disparaître de l'autre côté du passage.
- Cours, bel enfoiré. Une fois que je t'aurais rattrapé, je te tirerai un à un les vers du nez.
Il pouvait compter là dessus !
Cette petite distraction n'a pas empêché mon essence cauchemardesque d'évoluer dans le bon sens. Les fanatiques meurent tous d'une horrible manière. Certains se font dévorer morceau par morceau. D'autres découvrent la joie de se faire tronçonner le corps au passage. Dans le lot, il n'y a que Scarlet qui supporte la cadence. La fausse religieuse a récupéré une bonne partie de sa vitalité, dirait-on ! Elle se montre aussi souple que vive, évitant ma nuée de tentacules déchiqueteurs avec une étonnante habileté.
Sans doute est-elle en train de tout donner pour permettre à son maître de gagner un peu de temps ?
Entre-temps, je n'ai pas dévié de mon chemin d'un iota, la voie vers ma future victime d'importance m'étant presque tout ouverte.
- Vous autres moucherons, vous gesticulez et beuglez pour rien...
Je ne m'arrête même pas en croisant un pauvre ère autour duquel est enroulé un de mes appendices maléfiques. D'un mouvement de bras, je soulage ses épaules serrées de sa tête braillarde. Le crâne explose et le corps, lui, ne tarde pas à imploser sous la pression exercée par mon tortueux serviteur. Plus loin encore, ma route croise celle d'un autre crétin sur le déclin. Il a perdu plusieurs membres durant l'attaque, à tel point que je me demande comment il fait pour tenir encore sur ses genoux.
- Tu pues la mort - gicle de mon espace olfactif.
D'un balayage du pied, je le termine. Ses débris humains éclaboussent l'audacieuse Scarlet. Je l'ai vue qui s'était approché ; je n'ai pas pu m'empêcher d'en faire un dommage collatéral.
La belle me parait bien énervée, maintenant !
- Espèce de fils de pute !
Elle me fonce dessus sans hésiter, multipliant les coups avec une adresse pour le moins remarquable. Je les évite avec le sourire... et les mains dans les poches, histoire de continuer à la taquiner. Que voulez-vous ! c'est plus fort que moi.
Cinq secondes plus tard, je détourne une de ses attaques, lui fait perdre l'équilibre puis empiète largement sur son espace vital. Je la saisis à la gorge d'une main devenue noire comme les ténèbres.
- Pas fils de pute, je rectifie avec un rictus carnassier.
Fils de salopard serait on ne peut plus juste.
D'une froide impulsion, je l'envoie s'écraser contre un mur porteur. Elle hoquète de douleur mais interrompe brutalement sa glissade, ses mâchoires serrées avec rage. Ne voulant pas l'occire, je ne lui laisse guère l'occasion de décoller son dos du renfort. D'un geste à la volée, je lui balance une mixture de ma diabolique composition. Une sorte de gros slime qui la recouvre des pieds jusqu'au cou en la maintenant bien ancrée à son support.
Elle se débat, produisant des grognements que l'on pourrait tout à fait qualifier de démoniaque. Du genre qui n'ont rien à faire dans la gorge d'une femme aussi bien foutue.
- Tu devrais éviter de faire ça ; regarde un peu ton corps, ma jolie.
Ses vêtements ont fondu. Sous la sombre mélasse transparente, le spectacle de sa nudité n'est assurément pas pour me déplaire.
- Tue-moi ! rugit-elle.
Sinon je jure que je te retrouverais !
En la dépassant d'un pas serein, je souris à cette idée.
- Ah ? Bon sang, quelle promesse ! J'en frémis d'avance~
Je l'entends qui se met à hurler de nouveau. Avec un petit soupir d'aise, je lui jette un dernier coup d'œil appréciateur avant de me glisser dans l'ouverture que son maître n'a même pas pris la peine de refermer derrière lui.
Je dois dire que je ne m'étais pas imaginé ce passage secret aussi vaste car, non seulement on y voyait comme dans un cul, mais en plus de ça j'entendais mes pas résonner entre ses parois éloignées. Ce bâtiment renferme bien des secrets ! J'en viens même à me demander si cette pièce ne fait pas l'objet d'un enchantement ou d'un sortilège visant à modifier indépendamment ses proportions intérieures par rapport à leur contraire.
Quoi qu'il en soit, je sens la présence de ma cible qui ne doit pas être bien loin, à me surveiller depuis l'obscurité que mes yeux ne parviennent curieusement pas à percer.
- Encore un autre de tes tours, hein ?
Je ne suis pas particulièrement friand des magies sournoises. D'ailleurs, je ne m'en encombre que très rarement, préférant opter pour une approche plus expéditive. Je franchis un nouveau couloir, plus étroit que le précédent, avant de pénétrer dans une sorte de salle des commandes modérément éclairée. Des écrans y sont allumés. J'en dénombre une bonne quantité, suspendue au-dessus d'un énorme pupitre qui doit faire au moins dix fois la largeur de ma proie. Celle-ci n'a évidemment toujours pas fait l'effort de se montrer...
- Crois-moi, mon grand : lorsque je t'aurai mis la main dessus, je ne vais pas te ménager, je grince entre mes dents.
J'arrivais au bout de ma patience quand un espace autrefois sombre de la pièce s'illumine d'un seul coup ! A l'intérieur, il y a de l'eau. Et dans cette eau trempait une monstrueuse créature reliée par des câbles. Agréablement surpris, Je pivote mon corps vers cette dernière et je souffle :
- Alors ça, c'est pas banal... Hé ! C'est qui ? ta grande sœur ?
Sans toutefois me dévoiler sa position, le concerné me répond :
- Cela tombe bien que tu causes lien de parenté parce qu'il s'agit justement d'un projet abandonné par ton père.
Je reste silencieux un moment, le temps d'avaler la pilule.
- ...Tu déconnes ?
- Non, ce serait bien dommage.
Je secoue la tête.
- Pff ! Tu m'étonnes...
- On pourrait donc dire, pour faire honneur à ta vanne insipide, que cette entité biomécanique est un peu comme ton frère. Un bâtard - tout comme toi. C'est assez ironique, tu ne trouves pas ?
- Intéressant, dis-je.
Mon envie de te dépecer vivant grandit minute après minute...
- Tu pensais avoir déjà gagné, Braënox. Tu t'imaginais m'avoir coincé, moi, Bolganhon le Vermillon, sans même savoir que je te réservais plus d'une surprise.
Alors non content de m'opposer à une faucheuse d'âmes, cet enfoiré m'a guidé jusqu'ici pour que je me dresse face à cette chose gigantesque ?
Je dois bien admettre que ça fait beaucoup d'ennemis en une nuit...
- Tu es un spécimen audacieux, Rebut des Enfers. Et tu vas le payer ce soir-même : le prix très élevé de ton orgueil imbécile.
Cet enfoiré a dû actionner je ne sais quel interrupteur sur une foutue télécommande, car je vois les écrans passer au rouge dans un message d'alerte en même temps que l'aquarium se vider de son liquide. L'instant d'après, le buste de la monstruosité entre en surbrillance... puis la vitre explose ! Elle en sort dans un grondement mécanique, se redressant de toute sa hauteur qui doit avoisiner les dix-huit pieds.
Ça y est : je crois bien que je viens de poser le pied dans une sacrée merde !
Dans le même temps, je me demande bien où est passée mon adorable traqueuse aux allures égyptiennes ?