Poli, poli... mis à part pour le vouvoiement, c'était vite dit ! En constatant que le faux Kamiye ne fit même pas l'effort de se retourner pour discuter en face à face avec elle, Gine avait gonflé les joues d'agacement. Il lui donnait l'impression trompeuse d'être petite, insignifiante, misérable même. Et, par-dessus tout, il n'avait d'yeux que pour sa Maîtresse.
C'est passablement énervant.
Qu'était-ce là, au juste ? De la jalousie ?
La femme à queue de singe secoua la tête de dépit avant de se rendre compte que l'hybride s'était approché d'elle pour lui glisser quelques mots.
- Le Kamiye que j'ai créé ?
Que lui racontait-il, cet hurluberlu ? Elle n'avait rien créé du tout. Elle n'avait même pas trouvé le garçon ! Elle n'avait fait qu'attendre dans sa cellule qu'une occasion se présente pour la saisir, rien de plus.
D'un mauvais œil, Gine darda ce doigt malavisé que Courroux avait failli presser contre son front.
L'intéressé y alla de nouveau de ses vaseuses suppositions.
Xeki, qui avait entendu cette bêtise, donna son avis.
Gine leva une main à son attention et reprit la parole :
- Kamiye n'appartient à personne. Il n'est pas un animal de compagnie, et ce n'est certainement pas moi, au milieu de tous ces gens qui cherchent la liberté, qui aurait la prétention d'en faire un.
Un gémissement coupa court à ce qu'elle comptait ajouter. Kamiye, ou plutôt Courroux, retourna immédiatement au chevet de la femme vêtue de rouge.
Est-ce que la faiblesse est une tare ? Si tel est le cas, ce monde ne vaut pas mieux que le mien. Un monde où les forts règnent en maîtres, où ceux qui n'ont rien demandé subissent à leur place. C'est ignoble.
Elle se détourna.
Ces interrogations la poussèrent à se soucier du sens de la justice de Qaye. De sa rébellion. De ses nobles intentions. Une ancienne esclave qui avait beaucoup souffert par le passé et qui, aujourd'hui, se battait avec ses paires hybrides pour que tout le monde puisse jouir des bienfaits de la vie.
Silencieuse, Gine regarda la cheffe neko emboiter le pas à Courroux. Maintenant doté d'un pouvoir hors-norme, il était devenu une sorte de guide. Et pas seulement pour Qaye : ses alliés suivaient, eux aussi.
Ce changement radical... vais-je réussir à m'y faire ?
Depuis qu'elle avait réintégré son armure, son entourage se comportait d'une tout autre façon. Mais de là à dire que le monde était meilleur quand elle s'était trouvée dans son plus simple appareil...
Des deux mains, Gine se claqua simultanément les joues.
Reprends-toi, imbécile ! Tu réfléchiras à tout ça plus tard. Une opération est en cours. Ne sois pas égoïste !
Leur groupe n'eut pas à se battre. Kamiye, sa Maîtresse dans les bras, ouvrait la voie par sa seule présence. Indifférents, ils dépassèrent des cadavres et des moribonds en pleurs que plus rien ne pouvait sauver. Gine vit même un groupe d'hallebardiers hésiter avant de carrément s'incliner face au "meneur".
On croirait rêver ! Leur combativité a été douchée.
Niveau intimidation, c'était clairement autre chose qu'une combattante à poil aux mains qui crachent le feu, oui...
Très vite, ils se trouvèrent dehors, traversèrent la grande cour, poussèrent de grandes portes et s'immobilisèrent face au double pont-levis. De l'autre côté, le dernier obstacle : des soldats en armure.
Courroux avait remis sur ses pieds sa charge humaine. Celle-ci n'avait prononcé aucun mot. Elle avait l'air... bizarrement docile. Comme envoûtée. Son "inférieur" leur demanda d'attendre ici.
- Pardon ? Mais il sont nombreux, en face !
Cela n'avait pas empêché le couple d'aller à leur rencontre et... de pousser tous ces hommes à se jeter à la flotte !
Stupéfaite, Gine cligna plusieurs fois des yeux. Elle n'avait pas eu l'occasion d'intervenir.
- Ah... bon.
Déçue ? Peut-être un peu, oui. La Saïyajin se sentait surtout inutile, tout à coup. Très ironique de la part de quelqu'un qui, d'habitude, n'aspire point à échanger des coups inutilement.
Plus on avance, plus j'ai l'impression de me perdre en mon for intérieur.
C'est dans cet état de pseudo confusion que la femme à queue de singe évoluait avec les autres. Elle n'arrivait plus trop à se situer par rapport à tous ces esclaves qui s'étaient affranchis de leur statut. Elle... ne parvenait à pas se réjouir de tout ceci. Même quand elle apprit de la bouche de Courroux qu'il n'en savait pas plus qu'elle sur ce vaste monde, au-delà des limites du château.
En conséquence de cette déclaration, Qaye avait récupéré les rênes du groupe. Leur prochaine destination ? Une escale dans une base secrète remplie de vivres avant de rejoindre, plus tard, ce fameux Oasis, prétendu lieu de salut pour les rebelles.
Perdue dans ses pensées, Gine entendait à peine le dénommé Zumarr lorsque celui-ci entreprit de mettre les choses au clair avec elle. Il avait commencé par lui demander son nom.
- Gine, dit-elle sans grande conviction. Je m'appelle... Gine.
Le neko aux cheveux verts exprima sa défense par rapport à son dernier geste - malhabile - de sauvetage. Apparemment, cela l'avait marqué. Plus qu'elle, en tout cas. Il faut dire que tout le monde l'avait vue nue. Sa réaction a vif avait été un peu brusque et exagérée, à ce moment-là. Gine voulait bien l'admettre. Elle n'avait plus aucun grief contre le combattant à la hache. Ses prunelles noires fixaient soit le dos de Kamiye, soit le vide à ses pieds. Absolument rien d'autre.
- Tu es excusé, conclut-elle d'une voix blanche. Je me suis fourvoyée sur ton geste. Je ne t'en veux plus pour ça depuis longtemps.
Puis ils marchèrent, en silence, jusqu'au camp. C'est là que Qaye, en bonne meneuse, fit son discours avant de distribuer équitablement, avec ses officiers les plus fiables, de quoi nourrir ses "frères et sœurs". Gine accepta sa part - pas plus que le strict nécessaire - avant de se trouver un coin où poser les fesses. Elle ne comptait pas ripailler avec les autres. Seulement se sustenter en solitaire. Pour réfléchir à l'avenir. Au sien, en particulier.
Que lui restait-il ? Pourquoi devait-elle se battre ? Fallait-il seulement qu'elle continue à se battre, d'ailleurs ? Au nom de quoi ? Au nom de qui ? L'Oasis et sa Déesse perverse méritaient-ils qu'elle leur accorde sa curiosité ?
Gine n'était sûre de rien. Elle avait perdu ses repères depuis son passage à travers un portail. Et en quelques jours à peine, suite à une confrontation avec un groupe de malfrats qui s'était mal passée, son monde s'était limité à une petite cellule crasseuse...
Elle n'arrivait pas à savourer cette nouvelle liberté pour la simple bonne raison qu'elle ne savait plus trop quoi en faire. Il lui manquait quelque chose d'important : un but.